Que le
romantisme se soit emparé des Guerres de religion n’a rien d’étonnant.
Conscients de vivre une période de crise, les auteurs de la génération
d’Alexandre Dumas (né en 1802) ont vu dans ces conflits un formidable creuset
dramatique et le miroir d’une crainte collective, celle de la guerre civile.
Par un jeu d’analogies, les violences qui opposent Protestants et Catholiques évoquent
les cruautés de la Terreur, dont l’imaginaire hante les créateurs romantiques. Dans
les deux cas, la France est déchirée, les détenteurs du pouvoir sont éliminés. Sous
la Restauration et au lendemain de 1830, à l’heure où l’on dresse le bilan de
quarante ans d’histoire depuis la décollation de Louis XVI, les Guerres de
religion, fussent-elles lointaines, offrent un sombre objet de méditation pour
les contemporains.
1572 : « point rouge »
Pour les romantiques, qu’elle se reflète dans le sang de la Saint-Barthélemy ou dans la lame de la Veuve, l’Histoire est jalonnée de crises. Or les Guerres de religion multiplient les exactions sidérantes, à l’échelle individuelle et collective. Elles constituent un réservoir d’actions pour la fiction : complots, machinations, préparation au pire…tout concourt à attirer l’attention des créateurs vers cette période de troubles. Marquées par l’un des plus douloureux événements de l’histoire de France, la nuit du 24 août 1572, les Guerres de religion invitent les romantiques à reconfigurer l’histoire. Dans la préface à son Histoire des Guerres de religion (1856), Jules Michelet voit ainsi dans la Saint-Barthélemy un « point rouge », aboutissement tragique de tractations politiques, d’hésitations désastreuses. En sondant l’origine de cet événement, il dévoile la faillite du pouvoir royal face aux conflits religieux, décrit la montée en puissance des violences claniques. Les agissements dans l’ombre, les diplomaties secrètes, les complots sont le terreau de la dramatisation littéraire et de la réflexion politique. Études historiques et fictions récrivent le récit d’un traumatisme collectif, qui irradie autour de la catastrophe d’août 1572. La Reine Margot de Dumas concentre toute son intrigue autour de la nuit sanglante, décrivant à travers le microcosme conflictuel de la cour le macrocosme du massacre.
Conformes à la lecture des historiens romantiques, les fictions qui mettent en scène les Guerres de religion négligent les questions proprement religieuses et théologiques. Elles mettent l’accent sur les motivations politiques, les ambitions personnelles des individus à la tête des grandes familles (Guise, Montmorency, Navarre, etc.). La dimension polémique des Huguenots de Meyerbeer ou de La Reine Margot provient moins des clivages religieux et spirituels que du discours politique que les deux œuvres véhiculent. Dans les deux cas aussi, la grande histoire tragique de la France rejoint les passions individuelles : à la veille du massacre, se nouent des histoires d’amour impossibles, dont l’issue est irrémédiablement tragique. À l’horizon des amours de la reine Marguerite de Navarre, la catastrophe de la Saint-Barthélemy tend sa toile sanglante.
La tragédie et ses acteurs
Les Guerres de religion offrent une dramatis personae digne de figurer en tête d’une tragédie de Shakespeare. D’un côté, les derniers Valois et leur mère ; de l’autre, des ennemis et des alliés, liés par le sang ou par serment à la famille royale. Le conflit religieux trouve aussi son intérêt dans la crise dynastique qui suit la mort accidentelle d’Henri II. L’histoire des derniers Valois est propice à faire naître la légende : chacune de ses figure comporte des caractéristiques imprégnées dans l’imaginaire collectif. François II est un faible enfant, Charles IX est un roi fou, Henri III est un homme féminin, le duc d’Anjou est un jaloux… Ces fils sont dominés par leur mère, Catherine de Médicis, figure mâle et mal comprise. Une telle configuration est une manne pour la fiction. Alexandre Dumas, par exemple, redessine la psychologie et les agissements des Grands à partir des clichés cristallisés autour d’eux. Sous sa plume, Catherine de Médicis entre dans la légende noire. Elle fait de la politique avec des horoscopes et des alchimistes ; elle est tantôt représentée comme une mère aimante, tantôt comme l’émule de Machiavel. Dans son drame Henri III et sa cour, Dumas s’engouffre dans les poncifs anecdotiques, attribuant par exemple à l’origine italienne de la reine son goût pour l’occultisme. D’autres œuvres, comme Aoust 1572 de Lesguillon (1832) montrent Charles IX dans son intimité avec Marie Touchet. En temps de guerre, cette image n’est pas celle d’un monarque qui devrait pacifier son royaume. Pour les romantiques, le règne de ce roi est l’objet de tous les fantasmes, maculé par les massacres de la Saint-Barthélemy. Les rapports complexes voire contradictoires que Charles entretient avec sa mère ou Gaspard de Coligny aggravent son cas. Les heures sanglantes se confondent avec la personnalité de ce roi instable. Sa mort, traitée par Dumas de manière spectaculaire, emblématise la cruauté de toute une époque :
Pendant ce temps, une sueur abondante avait pris le roi ; et comme Charles était atteint d’un relâchement des vaisseaux capillaires, et que ce relâchement amenait une hémorragie de la peau, cette sueur sanglante avait épouvanté la nourrice, qui ne pouvait s’habituer à cet étrange phénomène, et qui, protestante, on se le rappelle, lui disait sans cesse que c’était le sang huguenot versé le jour de la Saint-Barthélemy qui appelait son sang. (« La sueur de sang », lxii, La Reine Margot)
Des Guerres de religion les romantiques retiennent aussi la puissance dévastatrice des clans. À la tête des Catholiques, le duc de Guise, « le Balafré », tient toujours le mauvais rôle. Dans Henri III et sa cour, il a tout d’un traître de mélodrame. Tel un nouvel Othello dévoré de jalousie, il fait étrangler son rival amoureux avec le mouchoir de sa femme, non sans annoncer son intention de régicide : « Bien ! et maintenant que nous avons fini avec le valet, occupons-nous du maître » (Henri III et sa cour, V, 3). Repoussoir d’une telle noirceur, l’Amiral de Coligny est le martyr de la cause. Dans la version théâtrale de La Reine Margot, il a le don visionnaire des grands politiques : « C’est le roi qui peut faire, du royaume qu’il gouvernera, le premier royaume du monde », déclare-t-il à propos du futur Henri IV. Les romantiques prennent ainsi bien souvent le parti des Protestants, autrement dit des victimes, selon un schéma agonistique opposant les bons et les méchants. Plus ambigu est le rôle que tient Henri de Navarre. Avant d’accéder à la couronne, il est représenté comme un homme pragmatique, sachant toujours se préserver une issue – on se souviendra ici de la mémorable scène de chasse de La Reine Margot, durant laquelle il sauve Charles IX en tuant un sanglier, sous les yeux des propres frères du roi, qui ne bougent pas. Patrice Chéreau en fait l’une des scènes-clés de son adaptation cinématographique.
C’est contre une vision caricaturale ou anecdotique des Guerres de religion que se dresse Balzac dans Sur Catherine de Médicis, l’un des essais les plus originaux écrits sur la période de troubles. Prenant le contrepied des discours véhiculés sur la régente, Balzac met en lumière son habileté politique, son art de naviguer entre des hommes faibles ou avides de pouvoir. Il tente de redonner à chacun sa juste place :
Catherine de Médicis, au contraire, a sauvé la couronne de France ; elle a maintenu l’autorité royale dans des circonstances au milieu desquelles plus d’un grand prince aurait succombé. Ayant en tête des factieux et des ambitions comme celles des Guise et de la maison de Bourbon, des hommes comme les deux cardinaux de Lorraine et comme les deux Balafré, les deux princes de Condé, la reine Jeanne d’Albret, Henri IV, le connétable de Montmorency, Calvin, les Coligny, Théodore de Bèze, il lui a fallu déployer les plus rares qualités, les plus précieux dons de l’homme d’État, sous le feu des railleries de la presse calviniste. Voilà des faits qui, certes, sont incontestables. (« Le Martyr protestant », Sur Catherine de Médicis).
Les agissements des personnages qui ont traversé les Guerres de religion alimentent la fiction. Tous, de près ou de loin, portent une responsabilité dans ces guerres civiles qui, pour Alfred de Vigny, se prolongent sous le règne de Louis XIII.
Dès lors l’intention des
romantiques n’est pas de rétablir la vérité des faits mais de montrer les
violences de l’Histoire qu’illustrent tragiquement les Guerres de religion.