Créée en 1999, la production de Dominique Pitoiset de Falstaff revient sur la scène de l’Opéra Bastille. À l’occasion de la dernière reprise, le metteur en scène évoquait sa mise en scène, débordante de vie et de charme.
Parlez-nous de votre première rencontre avec Falstaff.
Shakespeare a été ma porte d’entrée dans Falstaff. À l’époque de la création de cette production, j’ai connu de beaux succès au théâtre avec Peines d’amour perdues, La Tempête ou Macbeth. Je sortais de l’école allemande et avais été assistant de Karge et Langhoff puis de Giorgio Strehler, qui, lui-même, avait été assistant de Bertolt Brecht. Mon approche de Verdi s’est ainsi faite via le théâtre concret, post brechtien. Nous réfléchissions sur la médiation d’objets, comment démultiplier les points de focalisation du jeu avec des chanteurs. Ce qui fonctionnait plutôt bien avec Verdi puisque chez lui les déplacements sont musicalisés, dictés par l’écriture musicale.
Comment cette production et son esthétique sont-elles nées ?
J’avais abordé cette commande avec la conviction qu’il ne fallait pas faire quelque chose de trop contemporain, tout en ayant conscience qu’une esthétique élisabéthaine dialoguerait très mal avec la musique de Verdi. Il m’avait semblé intéressant de jouer des décalages en convoquant en scène un univers visuellement plus proche de Verdi que de Shakespeare. C’est une production du siècle passé avec son esthétique, très éloignée de celle de mes projets actuels. Mon parti pris serait différent si je devais remonter l’œuvre. Cependant, en revoyant la scénographie, je lui ai trouvé beaucoup de charme et me suis replongé dans le projet comme on redécouvre une vieille bande dessinée laissée sur une étagère, avec beaucoup de plaisir.
Cette scénographie est
pleine des fantômes de ceux qui l’ont habitée, et ils sont nombreux. À l’opéra,
l’histoire des reprises est chargée de mémoire et d’humanité. Si la production
a fonctionné et perduré, c’est grâce à la communauté des artistes et des
services techniques qui ont maintenu le propos vivant. C’est une chose que
nous, metteurs en scène, ne voyons pas. Une fois la première passée, nous
tournons généralement la page, nous relâchons la pression et passons à autre chose.
De quelle marge de manœuvres disposez-vous lors d’une reprise ?
Les ajustements se font toujours en fonction de la relation
qu’entretiennent les nouveaux chanteurs avec leur rôle, de ce que permet leur
interprétation, de la façon dont ils bougent. Avec le temps, j’ai appris à les observer.
Cela me permet de faire des ajustements et de les guider sur des voies
évolutives. Si vous regardez l’histoire des reprises de cette production, nous
avons eu des Falstaff et des Alice, par exemple, très différents. Il faut être
à l’écoute des singularités et des demandes des artistes. L’opéra est un monde où,
avec des temps de répétition très courts, chacun joue sa côte en bourse, la
peur au ventre. Au fil des années et des projets, mes propres peurs se sont
doucement effacées, et j’ai aujourd’hui grand plaisir à accompagner les interprètes
pour qu’ils se confrontent plus paisiblement à leurs craintes.
Pourriez-vous nous glisser un mot sur le personnage de Falstaff ?
En ouvrant l’album des souvenirs de cette production, je repense au film
d’Orson Welles, et à cette scène géniale, d’une grande justesse dans le jeu,
lorsque le jeune roi accède au trône. Falstaff, qui le connaît bien, est
présent dans la foule et lui fait signe, essayant d’attirer son attention. Or
le souverain fait semblant de ne pas le voir et l’ignore magistralement. Ce
plan résume à lui seul ce qu’est Falstaff - un bouffon pour qui le monde n’est
qu’une farce - et correspond, je crois,
à ce qui a profondément touché le maestro Verdi.