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Opéra

Nouveau

Les Troyens

Hector Berlioz

Opéra Bastille

du 25 janvier au 12 février 2019

Les Troyens

Opéra Bastille - du 25 janvier au 12 février 2019

Synopsis

« Il me semble qu’il y a quelque chose de nouveau dans l’expression de ce bonheur de voir la nuit, d’entendre le silence et de prêter des accents sublimes à la mer somnolente ».

- Hector Berlioz, Lettre à la Princesse de Sayn-Wittgenstein, 1857

En 1854, Hector Berlioz confiait dans ses Mémoires : « Depuis trois ans, je suis tourmenté par l’idée d’un vaste opéra dont je voudrais écrire les paroles et la musique. » Bridé par les échecs de Benvenuto Cellini et La Damnation de Faust, le compositeur attendra encore deux ans avant de se lancer dans l’entreprise des Troyens d’après L’Énéide de Virgile. Un sujet antique qui, galvanisé par la géniale modernité orchestrale du maître, souffla un vent nouveau sur un monde lyrique alors sous domination verdienne. En 1990, le premier lever de rideau de l’Opéra Bastille découvrait la plaine de Troie. Trente ans plus tard, une nouvelle production de Dmitri Tcherniakov marque l’anniversaire de la salle et en révèle l'immensité.

Durée :

  • Ouverture

  • Première partie 85 min

  • Entracte 45 min

  • Deuxième partie 80 min

  • Entracte 30 min

  • Troisième partie 45 min

  • Fin

Artistes

Opéra en cinq actes et neuf tableaux (1863)


Équipe artistique


Distribution

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Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

Galerie médias

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© Pierre Petit - BnF

Une histoire des Troyens

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Épisode 3

09 min

Une histoire des Troyens

Par Charles Alexandre Creton

Suite et fin de l’épopée qu’Octave consacre aux Troyens à l’occasion de la nouvelle production-événement dirigée par Philippe Jordan et mise en scène par Dmitri Tcherniakov à l’Opéra Bastille. Nous nous penchons cette fois sur Cassandre, héroïne emblématique à qui Berlioz devait donner une voix. « Plus belle fille de Priam » chez Homère, maudite par Apollon pour s’être refusée à lui, la prophétesse, incomprise de Troie, est un personnage qui évolue depuis l’Antiquité selon les genres littéraires qui lui sont consacrés. Berlioz, lorsqu’il commence la composition des Troyens en 1856, se saisit de l’histoire littéraire pour en faire le personnage central de La Prise de Troie. Evincés de la création au Théâtre lyrique en 1863, les deux actes qui mettent en scène Cassandre témoignent non seulement de la maîtrise des textes antiques par le compositeur mais aussi d’un engagement affectif pour le personnage qui vient bouleverser les codes du mythe et du théâtre. De l’épopée virgilienne à l’opéra de Berlioz en passant par l’Agamemnon d’Eschyle, chaque œuvre accorde un certain degré de liberté et d’accomplissement à la parole de Cassandre jusqu’à sa libération du joug divin qui la bâillonnait.    

Chez Virgile

Cassandre n’apparaît jamais dans L’Énéide de Virgile en tant que personnage. Sa parole dépend du récit de la prise de Troie qu’Enée entreprend à partir du Chant II à la reine de Carthage. Ceci donne lieu à une double privation de la parole de Cassandre. Il est ainsi fait mention pour la première fois de Cassandre en ces termes :

« Aussi, à cet instant, Cassandre qui par la décision d’un dieu n’est jamais crue par les Troyens, ouvre les bouches des destins à venir. »

Cassandre est dépossédée d’une voix singulière. Par elle, c’est toute une chorale de prophéties qui s’exprime, la discréditant aux yeux de la société troyenne.

Toutefois, un autre passage permet de nuancer ce point de vue. Le mutisme du personnage n’est pas complet dans l’épopée. Si, en effet, elle ne parle pas au moment de l’action, elle a parlé de ce qu’avec anachronisme, nous nommerons l’« horizon d’attente » des protagonistes et des lecteurs sur le mode du futur : « Cédons à Phoebus et, avertis, suivons la meilleure voie. »

Si encore une fois la voix de Cassandre est réduite à celle du dieu qui l’a maudite, on peut toutefois noter une certaine évolution dans le crédit accordé à ses prophéties. Dans le même passage, deux verbes de parole sont mobilisés pour évoquer l’action passée de Cassandre : « canebat » du verbe « cano » qui signifie chanter et « vocare » qui littéralement désigne le fait d’appeler à soi un objet ou un événement. « Vocare » nous rappelle le rapport particulier qu’entretient la voix des prophètes avec le futur, mais c’est ici le verbe « chanter » qui semble donner sens à l’ensemble du passage. C’est en effet le chant qui singularise la voix de Cassandre et son rapport au temps. Chez Virgile déjà, la dimension chantée de la parole accorde un statut particulier au personnage de Cassandre et devient pour elle, même après sa disparition, un facteur d’émancipation.

Avant de voir comment Berlioz s’est saisi des prémisses de cette transfiguration annoncée du personnage de Cassandre pour la première partie de son grand opéra, il convient de s’intéresser au traitement théâtral du personnage de Cassandre de l’Antiquité au théâtre lyrique du XIXe siècle.    
Les Troyens, Acte I, scène du duo de Cassandre et de Chorèbe / A. Casse
Les Troyens, Acte I, scène du duo de Cassandre et de Chorèbe / A. Casse © BmO / BnF

Le statut du chant dans la tragédie grecque

Le théâtre antique, et plus précisément la tragédie grecque, est un espace de voix plurielles. Les récentes études sur le sujet s’accordent sur le caractère musical des représentations théâtrales de l’époque. Si Aristote dans sa Poétique considère avant tout la tragédie comme un texte, il y fait néanmoins mention de la spécificité musicale de cet art : « J’appelle ʺlangage relevé d’assaisonnementsʺ celui qui a rythme, mélodie et chant ; et j’entends par ʺassaisonnements d’une espèce particulièreʺ que certaines parties sont exécutées simplement à l’aide du mètre, tandis que d’autres, le sont à l’aide du chant. » Il faut replacer cette dimension chantée de la tragédie grecque dans le contexte religieux de sa représentation : les grandes dionysies.

Le premier niveau de voix appartient aux personnages « auteurs de la représentation », c’est-à-dire pris dans l’intrigue et responsables de l’action. Ce premier niveau de voix est lui-même double. La tragédie grecque, d’après des chercheurs comme Claude Calame ou encore Florence Dupont, repose sur des procédés de distanciation. Le premier d’entre eux est le masque. Le personnage, féminin comme masculin, est joué par un homme. L’autre medium de singularisation des personnages est la voix. Chaque acteur peut jouer plusieurs personnages : seule la modulation de leur voix permet d’identifier les êtres de fiction. Le second niveau de voix est celui du chœur qui « comme voix compacte et unifiée est là pour rappeler que l’accord est la finalité de toute prise de parole. » (Pierre Judet de la Combe) Cette unité vocale du chœur se veut également garante des unités de temps et de lieu propre à la tragédie grecque. La voix du chœur de la tragédie grecque fait ainsi la jonction entre deux temporalités. Elle participe à l’action représentée sur scène au moyen d’échanges avec les personnages mais, par ce « hic et nunc » de la performance chantée, renoue aussi avec le temps de la représentation, celui des spectateurs, celui de la dimension cultuelle et rituelle de la tragédie.
    

Chez Eschyle

Dans l’Agamemnon d’Eschyle, c’est sur la base de ces « assaisonnements » du langage que se singularise Cassandre en tant que personnage. Par le langage, l’art poétique illustre la marginalisation dont est victime la Troyenne dans le mythe. Dans cette tragédie d’Eschyle, Cassandre agit en effet comme une figure de rupture des différentes unités par le chant. En tant que princesse troyenne, la fille de Priam fait office de barbare (qui ne parle pas grec) aux portes du palais des Atrides. C’est ce qu’illustre la réplique de Clytemnestre, s’adressant au chœur en ces mots : « Mais non, à supposer qu’elle n’est pas, comme l’hirondelle, / dotée de la langue indiscernable des Barbares, / je la fais obéir en parlant dans son esprit.» Le silence premier de Cassandre amène le chœur, dans une position à la fois dramatique et herméneutique, à évoquer le recours à un interprète : « L’étrangère, à ce qu’il semble, a besoin d’un interprète / compétent. Elle a les manières d’une bête qu’on vient juste de prendre. » N’échangeant qu’avec le chœur, la Troyenne entre à son tour moins dans une parole de l’action que dans une parole de l’interprétation, provoquant une rupture d’ordre musical. Dans son jeu d’échange avec le coryphée, la prophétesse fait venir une partie non négligeable des choreutes à elle, entraînant ainsi une rupture harmonique de cette voix « compacte et unifiée » sur scène. Ce procédé sera repris par Berlioz.

Chez Berlioz

Il faut attendre le XIXe siècle et l’opéra de Berlioz pour que ce chant agisse véritablement et devienne action. Si Berlioz a mis en scène les amours de Cassandre et Chorèbe dans un duo où règne l’incommunicabilité, c’est en tant que femme troyenne dont la parole est libre que le compositeur parvient à émanciper le personnage de son joug divin. Il faut considérer la plus jeune fille de Priam comme une jeune femme qui « n’accepte pas la confiscation de sa parole, ni les marges étroites de sa place en tant que femme, car elle s’obstine librement, clairement. Qui plus est, elle ne parle pas des sujets féminins mais de la politique en suggérant ce que la cité doit ou ne doit pas faire1 » En entrant sur scène, la prophétesse, qui vient de perdre son amant au combat, prédit l’avenir de Troie en Italie :

« Tous ne périront pas. Le valeureux Énée
Et sa troupe, trois fois au combat ramenée,
Ont délivré nos braves citoyens
Enfermés dans la Citadelle.
Le trésor de Priam est aux mains des Troyens.
Bientô
t en Italie, où le sort les appelle,
Ils verront s’élever, plus puissante et plus belle,
Une nouvelle Troie.
Ils marchent vers l’
Ida.2»

En plus de libérer le personnage de Cassandre de sa charge mythique dans le finale de La Prise de Troie où la prophétesse divise le chœur - excluant les « Thessaliennes » - et l’invite à l’action pour lutter pour « flétrir la victoire des Grecs », c’est l’héroïne lyrique que Berlioz émancipe. La cohérence de la partition des Troyens réside dans le miroir des deux parties et l’opposition entre les deux héroïnes, Cassandre et Didon. Si Chorèbe est mort au combat, ce n’est pas de chagrin que meurt la princesse de Troie qui savait que la mort préparait ses noces. Dans La Prise de Troie, il n’est question ni d’Ajax qui viendrait violer Cassandre, ni d’Agamemnon qui la traînerait en triomphe à la porte de la maison des Atrides où Clytemnestre finira par « la mettre en pièces ». Cassandre certes se suicide mais cet acte est un geste de gloire pour sauver Ilion du saccage tandis que le suicide de Didon se rapproche plus de celui d’une héroïne de tragédie lyrique classique, désabusée et trahie par l’amour.

Si finalement Cassandre échappe à la flèche mortelle d’Éros et au joug d’Apollon, il en est un dans l’aventure des Troyens que ni l’amour ni l’inspiration poétique ne laissa tranquille jusqu’à la fin de ses jours, c’est Berlioz lui-même. Pour avoir émancipé la princesse de Troie, il semblerait que le compositeur à son tour subisse la malédiction dont elle était victime, avec le peu de crédit qu’apporta Carvalho à la première partie de l’ouvrage, Berlioz déclare : « Ô ma noble Cassandre, mon héroïque vierge, il faut donc me résigner, je ne t’entendrai jamais !... Et je suis comme le jeune Chorèbe,“insano Cassandrae incensus amore.”


1. Dora Leontaridou : « Silences, métamorphoses de la parole et transcendance dans le discours féminin.
2. Berlioz, Les Troyens Acte II air n°15 Récitatif avec chœur

© Elisa Haberer / OnP

Berlioz, génie total

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Entretien avec Philippe Jordan

08 min

Berlioz, génie total

Par Marion Mirande

Avec Les Troyens s’achève le cycle Berlioz qui aura permis d’entendre Philippe Jordan diriger, en 2015, La Damnation de Faust, suivi en 2017 et 2018 de Béatrice et Bénédict et Benvenuto Cellini. Un voyage dans l’univers du plus révolutionnaire des compositeurs français du XIXe siècle, sur lequel revient le directeur musical de l’Opéra. 


La programmation des Troyens est symbolique puisqu’il s’agit du premier opéra donné sur la scène de Bastille dont nous célébrons cette saison les 30 ans !

Philippe Jordan : Oui, cette production, mise en scène par Dmitri Tcherniakov, est la troisième à l’Opéra Bastille, après celles de Pier Luigi Pizzi et Herbert Wernicke, avec, à la direction, Myung-Whun Chung et Sylvain Cambreling. D’un point de vue musical, il était important de programmer cette œuvre en fin de cycle, à la suite de La Damnation de Faust, Béatrice et Bénédict et Benvenuto Cellini. Les Troyens est une pièce singulière dans le catalogue de Berlioz. Il s’agit de son œuvre majeure, son grand opéra. Benvenuto Cellini était déjà une œuvre de grande envergure mais comique. Ici, avec ce sujet tragique, Berlioz s’oriente davantage encore vers le grand opéra français dans le sens de Meyerbeer. Les Troyens révèle la pleine maîtrise de ses moyens techniques et esthétiques.
    

D’après L’Énéide de Virgile, Les Troyens nous conte l’épopée d’Énée, prince troyen, fondateur mythique de l’Italie. Pouvez-vous revenir sur la quête de Berlioz d’un idéal antique ?

Ph.J. : D’une œuvre à l’autre, je constate la fidélité de Berlioz à un style flamboyant, combinée à une volonté de créer un univers singulier pour chaque sujet. Pour La Damnation de Faust d’après Goethe, il s’est orienté vers un style allemand influencé à la fois par Weber et son Freischütz, Schumann et Mendelssohn, comme le laissent entendre les chants des étudiants. Dans Benvenuto Cellini, qui renvoie à l’histoire italienne, on entend beaucoup de Rossini, un peu de Bellini et de Donizetti également. Béatrice et Bénédict, qui évoque aussi l’Italie, rend subtilement compte d’atmosphères méridionales. Avec Les Troyens, il part cette fois en quête du style antique. Or à l’époque, nous n’avions que peu d’informations sur ce qu’était ce style. Berlioz va donc l’inventer et créer un son. Sachant que, dans les temps anciens, il n’y avait pas d’instruments à cordes joués avec archet, il va utiliser – notamment dans le premier choral, celui où la ville de Troie exprime sa joie – des bois, des cuivres, des timbales et des flûtes antiques – qu’on remplace aujourd’hui par les hautbois – afin d’obtenir une sonorité étrange et archaïque. À l’exception de l’arrivée de Cassandre, soutenue par une entrée de cordes qui brusquement apportent une sensation de tragique, et de quelques pizzicati au violoncelle et à l’alto, les cordes sont donc absentes.

Ce goût de l’antique nous renvoie à sa passion pour la musique de Gluck qui l’accompagnait depuis ses jeunes années…

Ph.J. : En effet, cette recherche d’une esthétique antiquisante l’amène à emprunter à Gluck, l’un des compositeurs qui, avec ses tragédies lyriques aux sujets mythologiques, avait le plus œuvré à faire revivre ce passé musical. Berlioz traite la voix chantée d’une façon similaire à celle du maître allemand et compose des récitatifs accompagnés où la prosodie ressemble à celle d’Alceste. Les rôles principaux féminins des Troyens ne sont pas écrits pour des sopranos, là encore avec l’intention d’approcher le style de Gluck qui favorisait les voix graves. Chez ce dernier, les grandes héroïnes sont des mezzos, comme ce sera le cas chez Berlioz.
    

Quelles sont les exigences vocales des principaux rôles de l’œuvre ?

Ph.J. : Cassandre est un rôle avec de beaux aigus mais son interprétation requiert un très bon médium. Comparé à Didon, il est plus théâtral et exige de la chanteuse des dons de comédienne. C’est davantage récité et plus expressif. Chez Didon, qui chante toutes les grandes phrases lyriques, la beauté l’emporte sur l’expression. Énée, comme les grands rôles masculins chez Meyerbeer, ou chez Rossini avec Guillaume Tell, nécessite un ténor héroïque qui sache chanter lyrique, avec des aigus extraordinaires, et une souplesse dans la voix que peu d’interprètes possèdent. Le chœur a, quant à lui, une importance majeure, comme c’est toujours le cas dans le grand opéra. Dans la première partie, Berlioz l’utilise à des fins dramaturgiques très intéressantes : il incarne Troie, son peuple. Il reste actif à Carthage, mais se trouve davantage en retrait et devient alors plus un commentateur. Et ce, au profit des personnages principaux que sont Didon et Énée.
    

Les Troyens éclaire sur l’influence manifeste de Gluck, mais il est un autre compositeur qui fut tout aussi important pour Berlioz, sinon plus, c’est Beethoven. Pouvez-vous revenir sur l’apport de son art pour le compositeur français en général ?

Ph.J. : L’influence de Beethoven sur le jeune Berlioz est capitale. La filiation évidente entre la Symphonie fantastique et la Pastorale en atteste. Elles partagent la présence de parties chantées, la même tonalité et une orchestration similaire. Tout en étant redevable à la Neuvième Symphonie de Beethoven, l’œuvre lyrique de Berlioz l’est aussi à Fidelio. Plus tard, une fois au contact de l’Italie, son écriture évoluera encore. La découverte de l’opéra italien, et plus largement de la culture transalpine, de son patrimoine artistique et historique, le mènera vers des chemins et des moyens encore renouvelés.
    

Vous évoquez le travail d’orchestration. Or Berlioz était lui-même l’auteur d’un traité d’instrumentation et d’orchestration...

Ph.J. : Berlioz, c’est évidemment l’orchestration ! Dans Les Troyens, chaque numéro a un son propre grâce à un travail remarquable d’orchestration. Il développe ainsi des couleurs d’une grande finesse. Mais sa maîtrise musicale dépasse ici le simple champ de l’orchestration. Le traitement des mélodies contribue aussi pour beaucoup à l’homogénéité et l’harmonie générale propre à l’œuvre.
    

Berlioz était tout à la fois un compositeur, un théoricien, un critique, mais aussi un dramaturge. Que peut-on retenir chez lui de l’articulation texte - musique ?

Ph.J. : Oui, Berlioz n’était pas seulement un grand compositeur mais aussi un grand auteur qui écrivait ses livrets, comme Wagner. Il n’est pas exagéré de dire que ces hommes étaient des génies musicaux et de vrais poètes ; des artistes ouverts à tous les arts. La qualité littéraire de leurs œuvres peut être discutée, mais force est de constater une réelle synergie entre leur texte et leur musique. Berlioz cherchait dans l’art une totalité, là encore comme Wagner. C’était un grand visionnaire qui souhaitait développer des formes originales. Déjà avec sa Symphonie fantastique, ce désir s’exprimait dans le souhait de composer un poème symphonique, de trouver des nouveaux moyens compositionnels, dans la lignée de ceux initiés par Beethoven avec sa Neuvième Symphonie, tant du point de vue de l’orchestration que de l’usage du texte et du chœur.
    

Il est une figure emblématique du XIXe siècle musical qui fait le lien entre Berlioz et Wagner. C’est Franz Liszt, qui contribua à faire jouer et à promouvoir l’art du compositeur français…

Ph.J. : Les aller-retour entre tous ces artistes étaient réguliers et féconds. Ils partageaient l’ambition de révolutionner leur art, de composer la musique du XIXe siècle. L’apport de Berlioz dans le domaine de la musique symphonique est considérable. Sans la Symphonie Fantastique, la musique de Wagner, les poèmes symphoniques de Liszt, et plus tard ceux de Richard Strauss n’auraient pas été ce qu’ils sont. Strauss a d’ailleurs complété le Traité d’instrumentation et d’orchestration de Berlioz, qu’il connaissait parfaitement. J’entends énormément de Berlioz dans son Don Quichotte. Non seulement du point de vue des moyens mis en œuvre pour donner forme à une idée musicale à partir d’un sujet, mais aussi dans l’orchestration. Certaines fanfares du poème symphonique de Strauss renvoient très nettement aux Troyens. Il est aussi intéressant de penser que Tristan und Isolde de Wagner et Les Troyens ont été composés au même moment. Par le traitement des voix, l’orchestration et l’harmonie de sol bémol majeur, le duo entre Didon et Énée évoque sensiblement O sink hernieder Nacht der Liebe, duo d’amour du deuxième acte de « Tristan » qui module cependant davantage. Ces maîtres se sont donc réciproquement fascinés, compris, parfois déchirés. Mais on ne peut nier les influences réciproques qu’ils ont exercées les uns sur les autres. Sans leurs rencontres, la musique n’aurait pu évoluer. Les batailles ne se gagnent jamais seul !    

© Pierre Petit - BnF

Une histoire des Troyens

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Épisode 2

07 min

Une histoire des Troyens

Par Charles Alexandre Creton

Suite de l’épopée de la composition des Troyens : après avoir vu comment cet opéra avait permis à Berlioz de se libérer (enfin) des contingences matérielles pour embrasser la vie d’artiste, nous vous proposons de vous pencher sur un autre aspect de l’œuvre : la relation du compositeur à Shakespeare ou, selon ses propres mots, pourquoi Les Troyens est « un grand opéra dans un système shakespearien dont le deuxième et le quatrième livre de l’Énéide seraient le sujet. »


Naissance de l’émotion épique

Transformer l’émotion ressentie à la lecture de L’Énéide en une véritable œuvre d’art, tel est l’enjeu de la composition des Troyens pour Berlioz. Dans ses Mémoires, Berlioz rend compte de sa passion de jeune lecteur pour le poème de Virgile. Au-delà d’un simple souvenir d’enfance, cette écriture de soi pose les jalons de son grand opéra. Il offre les prémices d’une traduction de L’Énéide qui témoigne à la fois de sa maîtrise du poème latin et de son extrême sensibilité :

« Combien de fois, expliquant devant mon père le quatrième livre de L'Énéide, n'ai-je pas senti ma poitrine se gonfler, ma voix s'altérer et se briser !... Un jour, déjà troublé par le début de ma traduction orale du vers :

At regina gravi jamdudum saucia cura,

J’arrivai tant bien que mal à la péripétie du drame; mais lorsque j’en fus à la scène où Didon expire sur son bûcher, entourée des présents que lui fit Énée, des armes du perfide en versant sur ce lit, hélas ! bien connu, les flots de son sang courroucé; obligé que j’étais de répéter les expressions désespérées de la mourante, trois fois se levant appuyée sur son coude et trois fois retombant, de décrire sa blessure et son mortel amour frémissant au fond de sa poitrine, et les cris de sa sœur, de sa nourrice, de ses femmes éperdues, et cette agonie pénible dont les dieux mêmes émus envoient Iris abréger la durée, les lèvres me tremblèrent, les paroles en sortaient à peine et inintelligibles1»

Ce qui semble a priori un souvenir vivant de lecture est en fait un début de traduction de L’Énéide et devient l’antichambre de la composition des Troyens. L’écriture de soi permet de nouveau à Berlioz de fusionner avec son sujet comme le montrent les expressions directement traduites de l’œuvre de Virgile et qui soulignent le trouble du jeune Hector plus intensément encore que l’agonie de la reine de Carthage.
Lettre d'Hector Berlioz à Humbert Ferrand, 5 novembre 1863. Manuscrit autographe
Lettre d'Hector Berlioz à Humbert Ferrand, 5 novembre 1863. Manuscrit autographe © BnF

Pour retranscrire avec justesse son émotion juvénile, Berlioz doit traduire avec la même fidélité le texte de Virgile. La critique a vu en son sens aigu de la traduction une œuvre d’écolier : « En ce temps-là, le mauvais génie de Berlioz dit à Berlioz : Tu me copieras cinq mille vers de L’Énéide, pour t’apprendre à faire un libretto ! - Et voilà comment il nous a donné un pensum pour un opéra2». Pourtant, loin d’être une simple version de khâgneux, le livret des Troyens est un véritable tour de force poétique qui permet d’allier l’épique au dramatique. Cette volonté de renouer avec la dimension dramatique de l’épopée s’observe dans certains choix de traduction comme au deuxième acte lors de l’intervention de l’ombre d’Hector : « Ah !… fuis, fils de Vénus! L’ennemi tient nos murs3», traduction de « Heu fuge, nate dea, teque his, ait, eripe flammis, // Hostis habet muros.4» Si Berlioz ne rend pas compte de l’ensemble du vers, il semble traduire avec plus de justesse que ses contemporains certaines expressions comme « hostis habet muros » que Félix Lemaistre traduit en 1859 dans la seconde édition de sa traduction de L’Énéide par « L’ennemi est dans nos murs.5» Verbe d’action du sujet « hostis », l’ennemi, le verbe « habeo » reprend chez Berlioz une connotation épique liée à l’idée de bataille qui lui permet de dramatiser l’action. Cette nuance dans la traduction permet également à Berlioz d’introduire l’irrémédiable pas de la marche troyenne vers sa destinée. L’état de siège ne lui laisse guère d’autre solution que la fuite pour s’installer en Italie.

Première représentation, au Théâtre-Lyrique, de l'opéra
Première représentation, au Théâtre-Lyrique, de l'opéra "les Troyens " (La mort de Didon). Estampe [s.d.] © BnF
« Virgile shakespearianisé »

Si Virgile incarne pour Berlioz la passion épique de l’enfance, Shakespeare est synonyme chez le compositeur des bouleversements les plus importants de sa carrière. On ne saurait dire en lisant le vingt-huitième chapitre de ses Mémoires si Berlioz s’est épris de Harriet Smithson ou de Shakespeare lui-même lorsqu’il se rend à l’Odéon pour découvrir Hamlet et Roméo et Juliette en langue originale. Le dramaturge élisabéthain devient un modèle de création dramatique pour le compositeur de symphonies qui parle alors des Troyens comme « d’un grand opéra dans un système shakespearien ». Le compositeur mobilise tout ce qui, dans la tragédie shakespearienne, allait à l’encontre des règles de bienséance et de vraisemblance de la tragédie classique. C’est ainsi qu’au climax du tragique, alors que Didon est prête à se donner la mort, Berlioz introduit le duo grotesque de deux sentinelles troyennes (« Par Bacchus ! Ils sont fous avec leur Italie ! »). Berlioz reprend les plaintes tragiques des femmes troyennes sur la longueur du voyage (cinquième chant de L’Énéide) pour en faire un duo de lamentations bachiques, offrant une respiration comique avant le retour au drame. Sous la plume de Berlioz, Virgile et Shakespeare deviennent contemporains. C’est ainsi que naît le célèbre duo entre Didon et Énée « Nuit d’ivresse et d’extase infinie » : « Je viens d’achever le duo du IVè acte, c’est une scène que j’ai volée à Shakespeare dans Les Marchands de Venise, et je l’ai virgilianisée. Ces délicieux radotages d’amour entre Jessica et Lorenzo manquaient à Virgile. Shakespeare a fait la scène, je la lui ai reprise et je tâche de les fondre toutes deux ensembles.6 »

Plus romantique qu’il n’y paraît à l’écoute de son œuvre, Berlioz cherche à faire du grand opéra la forme d’une émotion primaire. Son « chagrin virgilien7 », chargé de la force du coup de foudre shakespearien est une émotion hybride qui anime tant l’écriture que la réception des Troyens. En « mettant au pillage Virgile et Shakespeare » qui deviennent pour lui deux chanteurs8, Berlioz trouve la voix qui lui permet de s’accomplir dans le genre du grand opéra.

1. Hector Berlioz: Mémoires, « Chapitre II » éditions Symétrie 2014 p.37

2. Firmin Gillot (graveur) dans La vie parisienne en 1863
3. Hector Berlioz, Les Troyens: Acte II, premier tableau n°12
4. Virgile, L’Énéide, Chant II v-689-690
5. Œuvres de Virgile traduction française de la collection Panckouke par M. Félix Lemaistre. Tome 1. Garnier Frères, libraires-et éditeurs. 1859 p.
6. Berlioz à Ernest Legouvé, vers le 10 juin 1856, Correspondance générale, vol. V
7. Hector Berlioz, Mémoires, « Chapitre II » éditions Symétrie 2014 p.37
8. « Il est singulier qu’il soit intervenu, lui le poète du Nord, dans le chef-d’œuvre du poète Romain. […] Quels chanteurs ces deux !!!… » Hector Berlioz à Ernest Legouvé, 10 juin 1856, Correspondance générale, vol.5

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Une minute pour comprendre l’intrigue

1:43 min

Dessine-moi Les Troyens

Par Octave

En 1854, Hector Berlioz confiait dans ses Mémoires : « Depuis trois ans, je suis tourmenté par l’idée d’un vaste opéra dont je voudrais écrire les paroles et la musique. » Bridé par les échecs de Benvenuto Cellini et La Damnation de Faust, le compositeur attendra encore deux ans avant de se lancer dans l’entreprise des Troyens d’après L’Énéide de Virgile. Un sujet antique qui, galvanisé par la géniale modernité orchestrale du maître, souffla un vent nouveau sur un monde lyrique alors sous domination verdienne. En 1990, le premier lever de rideau de l’Opéra Bastille découvrait la plaine de Troie. Trente ans plus tard, une nouvelle production de Dmitri Tcherniakov marque l’anniversaire de la salle et en révèle l'immensité.

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"Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris" - en partenariat avec France Musique

07 min

Podcast Les Troyens

Par Nathalie Moller, France Musique

Avec « Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris », nous vous proposons des incursions originales dans la programmation de la saison à la faveur d’émissions produites par France Musique et l’Opéra national de Paris. Pour chacune des productions d’opéra et de ballet, Nathalie Moller pour le lyrique et Jean-Baptiste Urbain pour la danse, vous introduisent, avant votre passage dans nos théâtres, aux œuvres et aux artistes que vous allez découvrir.  

© Pierre Petit - BnF

Une histoire des Troyens

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Épisode 1

12 min

Une histoire des Troyens

Par Charles Alexandre Creton

L’histoire des Troyens ne peut se réduire à la durée de sa composition et à l’épreuve qu’a été sa création en 1863. L’histoire de l’œuvre coïncide avec les inspirations les plus fiévreuses de Berlioz mais aussi avec ses plus grandes crises d’angoisse face à l’institution musicale parisienne. Faire une lecture croisée des Mémoires de Berlioz avec la partition des Troyens fait entendre une voix singulière, celle de l’auteur qui ne souhaite désormais qu’une chose : vivre de son art.    

Sophocle muet

« On ne sait pas assez, en général, au prix de quels labeurs la partition d’un opéra est produite, et par quelle autre série d’efforts, bien plus pénibles et bien plus douloureux encore sa présentation au public est obtenue. »

Nous ne reconnaissons à Berlioz la composition que de trois opéras dont un seul « Grand Opéra » au sens générique du terme : Les Troyens. Cet aveu du compositeur dans les dernières pages de son ouvrage critique À travers chants sonne comme un appel à reconsidérer son œuvre avec bienveillance. À bien lire ses Mémoires, les « mille tourments », propres à la composition d’un opéra, ne l’ont jamais quitté quelle que soit l’œuvre créée. Ces tourments et douleurs, Berlioz les rend caractéristiques d’une époque qui a perdu foi en l’art, d’une société qui, à l’Opéra, est plus occupée à parler de la Bourse qu’à écouter le spectacle en cours. Ces spectateurs, bien qu’il ne fasse de la salle que le lieu d’activité de leurs mondanités, imposent à l’artiste, « Sophocle moderne », de tout recommencer sans cesse et sans jamais l’assurer de son succès.

Berlioz se rêve dans la peau d’un auteur « heureux, puissant, radieux, presque divin » qu’étaient à ses yeux les poètes tragiques de l’Antiquité comme Sophocle. Dans la composition, Berlioz cherche à s’accomplir jusqu’à la création, moment où il transmet à l’auditoire l’instant de vérité à l’origine de son inspiration. Ce qui est en jeu dans la composition d’un grand opéra comme Les Troyens, c’est le morceau de mosaïque d’un portrait musical qui ferait résonner et raisonner l’ensemble d’un tableau où Berlioz apparaît comme le compositeur dramatique du XIXe siècle.

Ce qui a manqué à l’auteur des Soirées de l’orchestre pour s’imposer en tant que compositeur d’opéra dans le paysage musical français, c’est une voix. Enfant, Berlioz avait une « jolie voix de soprano » et passe, après avoir quitté ses études de médecine, un concours pour devenir choriste. Le jeune prodige intègre les chœurs avec une voix de « baryton médiocre. » Dans le récit de cet épisode, Berlioz n’a guère de compassion pour ses rivaux et donne même l’impression d’un orgueil sans limite lorsqu’il prétend que ces derniers ont chanté « non comme des vachers mais comme des veaux. » Quoique l’on puisse imaginer un certain plaisir de l’auteur dans la réminiscence de cette audition, il faut d’abord y voir un procédé rhétorique lui permettant d’esquisser une destinée vers le genre du grand opéra. « Me voilà donc, en attendant que je puisse devenir un damné compositeur dramatique, choriste dans un théâtre de second ordre, déconsidéré et excommunié jusqu’à la moelle des os ! J’admire comme les efforts de mes parents pour m’arracher à l’abîme avaient réussi ! » Berlioz n’a de cesse de dramatiser son approche de la voix puis de l’opéra et cherche à susciter chez le lecteur des Mémoires une compréhension davantage qu’une compassion - même lorsqu’il se dépeint comme compositeur - même lorsqu’il se dépeint comme un compositeur maudit moins par les muses de l’inspiration lyrique que par les directeurs d’opéra et la médiocrité des artistes qui peuplent alors Paris. L’ironie et le sarcasme dans l’écriture de soi viennent soutenir une sensibilité et une véritable douleur ressentie tout au long de sa vie dédiée à la quête du « chef-d’œuvre rêvé dans l’enfance » (Rémy Stricker, Berlioz dramaturge).    
La vie parisienne : dessin humoristique de Firmin Gillot lors de la création des Troyens à Carthage au Théâtre Lyrique, 1863
La vie parisienne : dessin humoristique de Firmin Gillot lors de la création des Troyens à Carthage au Théâtre Lyrique, 1863 © BnF / BmO

Tentation de l’Opéra et création symphonique

Connu des mélomanes pour la révolution qu’il a apportée au genre de la symphonie notamment grâce à sa « Fantastique », Berlioz a été obsédé par l’opéra dans chacune de ses créations. Ce poème symphonique en cinq actes est lui-même un grand opéra dont l’action dramatique s’exprime à l’orchestre. Pourtant, chaque fois qu’il approche le genre de l’opéra, Berlioz s’en défend à renfort d’arguments comme dans la préface à Roméo et Juliette (1839) : « On ne se méprendra pas sans doute sur le genre de cet ouvrage. Bien que les voix y soient employées, ce n’est ni un opéra de concert, ni une cantate, mais une symphonie avec chœur. » Il n’est toutefois pas le premier compositeur à recourir au chœur dans une symphonie, cette précaution en préface apparaît alors comme une volonté de contrer ceux qui taxeraient son utilisation des voix de dramatiques.

En 1823 déjà, le jeune musicien s’est lancé dans la composition d’un premier opéra, une « partition aussi ridicule, pour ne pas dire plus, que la pièce et les vers de Gérono » (librettiste à qui il avait demandé d’écrire à partir d’Estelle de Florian). Lorsqu’une dizaine d’année plus tard, Berlioz compose la musique de son premier opéra, Benvenuto Cellini, adapté du récit de vie du sculpteur italien (La Vita), c’est de nouveau le livret, confié à Léon de Wailly et Auguste Barbier, qui remet en cause le succès de l’œuvre. « J’avais été vivement frappé de certains épisodes de la vie de Benvenuto Cellini, j’eus le malheur de croire qu’ils pouvaient offrir un sujet d’opéra dramatique et intéressant, je priai Léon de Wailly et Auguste Barbier, le terrible poète des Iambes de m’en faire un livret. Leur travail, à en croire même nos amis communs, ne contient pas les éléments nécessaires à ce qu’on nomme un drame « bien fait. » » Ces amis communs eux aussi sous la plume de l’auteur ne sont que des divisions de ses voix intérieures qui tendent à l’élever au rang de compositeur d’opéra. Y-a-t-il pour Berlioz de la place pour quelqu’un d’autre que lui dans le processus de création ?    

Les Troyens : une libération coûteuse de l’artiste : les voix des autres.

Une voix manque à Berlioz pour réaliser un opéra et s’y épanouir en tant qu’artiste « heureux, puissant, radieux » : la sienne. Avec Les Troyens, ce n’est pas avec sa « jolie voix de soprano » et encore moins avec sa voix de « médiocre baryton » que l’auteur veut renouer, mais avec celle qui dès l’enfance « s’altérait et se brisait » à la lecture du quatrième livre de l’Énéide. En cela, Les Troyens ne laissent aucune place à d’autres voix que la sienne : « Je l’ai déjà dit, pour que je puisse organiser convenablement l’exécution d’un grand ouvrage tel que celui-là, il faut que je sois le maître absolu du théâtre comme je le suis de l’orchestre quand je fais répéter une symphonie ; il me faut le concours bienveillant de tous et que chacun m’obéisse sans faire la moindre observation. »
Berlioz rêve d’absolu : À l’« œuvre totale » (sacrilège, il n’aurait jamais utilisé cette expression) doit répondre l’artiste total : le génie libre. Musique, livret, mise en scène, lumière, tout est l’affaire du compositeur.

Pourtant, Berlioz a bien failli ne jamais livrer ce carreau de mosaïque qui vient donner un sens à l’ensemble de sa vie musicale. Encore une fois, dans cette réticence, c’est la peur du genre « opéra » qui s’exprime et plus particulièrement la manière dont il perçoit la maltraitance institutionnelle à l’égard des œuvres lyriques de son siècle. Ainsi lit-on dans la dédicace adressée à la princesse de Sayn-Wittgenstein qui ouvre la partition des Troyens : « Je venais de parler de mon désir d’écrire une vaste composition lyrique sur le deuxième et le quatrième livre de L’Énéide. J’ajoutai que je me garderais bien de l’entreprendre, connaissant trop les chagrins qu’une œuvre pareille devait nécessairement me causer en France, à notre époque, avec nos étranges habitudes littéraires et musicales et les instincts puérils de la foule. » Le compositeur est, à ce moment de la réflexion, en pleine possession de son œuvre, elle est sienne dans le sens où il s’y reconnaît, il s’y accomplit mais il angoisse - moins sur la manière dont le public pourrait la recevoir que sur celle dont les théâtres vont la traiter.    
Esquisse de décor de l’acte III pour Les Troyens à Carthage par Charles-Antoine Cambon, 1863
Esquisse de décor de l’acte III pour Les Troyens à Carthage par Charles-Antoine Cambon, 1863 © BnF / BmO

Berlioz n’a jamais été le maître absolu du théâtre comme il l’aurait souhaité. Sa voix a été altérée non par l’inspiration et l’émotion qui l’accompagne mais par les choix du directeur du théâtre, Léon Carvalho à qui Berlioz fit confiance pour la mise en scène. De son vivant, le compositeur n’entendit jamais La Prise de Troie, Carvalho trouvant l’œuvre trop longue et peu adaptée à la scène, il l’amputa de sa première partie afin de ne proposer au public qu’un épisode de l’Antiquité qui était un lieu commun de l’opéra depuis Purcell, la rencontre de Didon et Énée. Berlioz raconte avec humour l’ensemble des modifications qui lui ont été demandées et auxquelles il a finalement consenti :

« Carvalho s'obstina avec un acharnement incroyable, malgré ma résistance et mes fureurs, à couper la scène entre Narbal et Anna, l'air de danse et le duo des sentinelles dont la familiarité lui paraissait incompatible avec le style épique. Les strophes d'Iopas disparurent de mon aveu, parce que le chanteur chargé de ce rôle était incapable de les bien chanter. Il en fut de même du duo entre Énée et Didon ; j'avais reconnu l'insuffisance de la voix de madame Charton dans cette scène violente qui fatiguait l'artiste au point qu'elle n'eût pas eu ensuite la force, au cinquième acte, de dire le terrible récitatif : « Dieux immortels ! Il part ! » et son dernier air et la scène du bûcher. Enfin la chanson d'Hylas, qui avait plu beaucoup aux premières représentations et que le jeune Cabel chantait bien, disparut pendant que j'étais retenu dans mon lit exténué par une bronchite. On avait besoin de Cabel dans la pièce qui se jouait le lendemain des représentations des Troyens et comme son engagement ne l'obligeait à chanter que quinze fois par mois, il fallait lui donner deux cents francs pour chaque soirée supplémentaire.

À lire ces lignes, l’institution lyrique semble seule responsable des maux du compositeur qui dit avoir vécu un supplice et parle de son œuvre comme une “partition dépecée, à la vitrine du marchand de la musique, comme un veau sur l’étal d’un boucher, et dont on débite des fragments comme on vend des petits morceaux de mou pour régaler les chats des portières!” La critique ne fut guère clémente à la création de l’œuvre. Toutefois, ce que Berlioz peint comme un échec est loin d’en être un. “Les Troyens à Carthage n’eurent que vingt et une représentations”. Pour l’époque, ce nombre n’est pas dérisoire et ne décrit en rien un échec pour le Théâtre Lyrique. D’ailleurs l’auteur lui même tira de ces représentations bien des honneurs. Il évoque notamment une série de concerts où des fragments des Troyens sont donnés - concerts auxquels il s’est rendu incognito mais où il fut vite reconnu et acclamé. Mais le plus grand honneur que le compositeur tira des Troyens au Théâtre Lyrique fut ironiquement institutionnel et social. Étant à la fois compositeur et librettiste de l’œuvre, Berlioz toucha un ensemble de droits qui lui permirent de mettre un terme à sa collaboration avec le Journal des débats et ainsi de se libérer du masque de critique pour enfin vivre de son art.

Enfin, enfin, enfin, après trente ans d'esclavage, me voilà libre ! Je n'ai plus de feuilletons à écrire, plus de platitudes à justifier, plus de gens médiocres à louer, plus d'indignation à contenir, plus de mensonges, plus de comédies, plus de lâches complaisances, je suis libre ! Je puis ne pas mettre les pieds dans les théâtres lyriques, n'en plus parler, n'en plus en entendre parler, et ne pas même rire de ce qu'on cuit dans ces gargotes musicales ! Gloria in excelsis Deo, et, in terra pax hominibus bonæ voluntatis !! C'est aux Troyens au moins que le malheureux feuilletoniste a dû sa délivrance. »    

  • Les Troyens by Hector Berlioz (Stéphanie d'Oustrac)
  • Les Troyens by Hector Berlioz (Ekaterina Semenchuk & Brandon Jovanovich)
  • Les Troyens by Hector Berlioz (Stéphane Degout)
  • Les Troyens by Hector Berlioz (Ekaterina Semenchuk)
  • Lumière sur : Les coulisses des Troyens de Berlioz #shorts #ParisOpera #opera
  • Les Troyens (saison 18/19)- Acte V - Ekaterina Semenchuk et Aude Extrémo

  • Les Troyens (saison 18/19) - Acte IV - Christian Van Horn et Aude Extrémo

  • Les Troyens (saison 18/19) - Acte I - Stéphane Degout

  • Les Troyens (saison 18/19) - Acte IV - Ekaterina Semenchuk et Brandon Jovanovitch

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