Mes avantages

Prix

    0
    300
    0€
    300€

Spectacle / Événement

Lieu

Expérience

Calendrier

  • Entre   et 

Les tarifs

Philippe Dollo

Opéra

Nouveau

Lady Macbeth de Mzensk

Dmitri Chostakovitch

Opéra Bastille

du 06 au 25 avril 2019

3h13 sans entracte

Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties.

Synopsis

Du projet initial de Chostakovitch – consacrer une trilogie aux destins tragiques de femmes russes à travers les âges – ne demeura qu’un opéra coup-de-poing : Lady Macbeth de Mzensk. S’il est l’un des puissants ressorts de l’oeuvre, l’intertexte shakespearien est ici bien amer : contrairement à Lady Macbeth, Katerina Ismailova – qui, dans la Russie profonde du XIXe siècle, tombe amoureuse d’un employé de son mari et sera finalement acculée au suicide – est moins manipulatrice que victime d’une société violente et patriarcale. Krzysztof Warlikowski libère aujourd’hui la force de subversion de cette oeuvre brûlante et scandaleuse, qui a marqué les premières années de l’Opéra Bastille.

Durée : 3h13 sans entracte

Langue : Russe

Surtitrage : Français / Anglais

  • Ouverture

  • Première partie 100 min

  • Entracte 30 min

  • Deuxième partie 63 min

  • Fin

Artistes

Opéra en quatre actes et neuf tableaux


Équipe artistique

Distribution

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Galerie médias

  • Lady Rouge

    Lady Rouge

    Lire l’article

  • Dessine-moi Lady Macbeth de Mzensk

    Dessine-moi Lady Macbeth de Mzensk

    Lire la vidéo

  • Requiem pour une femme russe

    Requiem pour une femme russe

    Lire la vidéo

  • Sergueï, l’anti-prince

    Sergueï, l’anti-prince

    Lire la vidéo

  • Podcast Lady Macbeth de Mzensk

    Podcast Lady Macbeth de Mzensk

    Écouter le podcast

  • Katerina ou l’ardeur

    Katerina ou l’ardeur

    Lire la vidéo

  • « Frères humains, qui après nous vivez »

    « Frères humains, qui après nous vivez »

    Lire l’article

  • Transgressions dans Lady Macbeth de Mzensk

    Transgressions dans Lady Macbeth de Mzensk

    Lire l’article

© Thibaut Chapotot pour la Rmn-Grand Palais

Lady Rouge

Lire l’article

Entretien avec Nicolas Liucci-Goutnikov

05 min

Lady Rouge

Par Simon Hatab

Opéra fascinant, qui témoigne de la pensée de son temps tout en s’étant attiré les foudres du régime soviétique, Lady Macbeth de Mzensk est à l’affiche de l’Opéra Bastille dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. Commissaire de l’exposition Rouge. Art et utopie au pays des Soviets qui se tient au Grand Palais du 20 mars au 1er juillet 2019, Nicolas Liucci-Goutnikov nous éclaire sur le contexte historique de cette œuvre. 


Lady Macbeth de Mzensk est créé le 22 janvier 1934. Pouvez-vous nous parler du contexte politique de cette Première ?

Nicolas Liucci-Goutnikov : Durant les années 1920, un relatif pluralisme culturel accompagne la lutte pour le pouvoir opposant différentes factions du parti. Trotski ou Boukharine sont parmi ceux qui considèrent que le parti n’a pas à imposer telle forme d’art plutôt qu’une autre. La donne change à partir de 1929. Joseph Staline a éliminé toute opposition. Il souhaite contrôler et diriger la création artistique. En 1932, les groupes artistiques sont dissous au profit d’unions professionnelles ; en 1934, quelques mois après la première de « Lady Macbeth », l’un des sbires de Staline, Andreï Jdanov, lance le mot d’ordre du réalisme socialiste, doctrine encore vague mais destinée à régir l’ensemble des arts. L’extraordinaire période d’expérimentation ouverte par la Révolution est close.

Quelles étaient les relations de Chostakovitch avec le régime soviétique ?

N. L.-G. : Chostakovitch fait partie de ces « artistes de gauche », héritiers des avant-gardes, dont l’œuvre s’est développée frénétiquement durant ces années 1920, pleines d’enthousiasme et de confiance en l’avenir. Il a collaboré avec de nombreux artistes majeurs : la pièce de théâtre La Punaise a ainsi permis au jeune compositeur, âgé d’à peine 23 ans, de collaborer avec Vladimir Maïakovski, auteur, Vsevolod Meyerhold, metteur en scène, et Alexandre Rodtchenko, scénographe. Le sort sera cruel pour nombre de ces artistes de gauche : Maïakovski se suicide en 1930, Meyerhold est exécuté en 1940. Pour Chostakovitch, comme pour Rodtchenko, il s’agira désormais de composer, tant bien que mal, avec le pouvoir.

« Lady Macbeth » met en scène la difficile condition sociale d’une femme russe : comment ce thème s’inscrit-il dans les préoccupations politiques de l’époque ?

N. L.-G. : Les années qui suivent la révolution d’Octobre sont celles d’une véritable libération des mœurs : alors que le divorce se généralise, que les structures familiales conventionnelles se délitent, que la liberté sexuelle s’affirme, la femme s’émancipe. Les années staliniennes sont au contraire celles d’un fort conservatisme : le régime promeut le retour à des formes de vie somme toute plus bourgeoises. Il célèbre les vertus du mariage et promeut le retour aux valeurs traditionnelles de la famille. L’opéra de Chostakovitch, conçu durant les premières années de l’ère stalinienne, se situe à la charnière de deux époques.

On sait qu’après un succès initial, l’œuvre a été interdite de représentation pendant trente ans. Comment expliquer ce revirement ?

N. L.-G. : Le 28 janvier 1936, un article téléguidé par Staline paraît dans la Pravda, intitulé « Le chaos remplace la musique ». Il s’en prend avec violence à « Lady Macbeth », à la fois sur le fond – son intrigue jugée scandaleuse – et sur la forme - l’œuvre est jugée « formaliste ». Cette épithète est alors lestée d’une charge éminemment négative. Le formalisme est considéré comme un mal « bourgeois », engendrant des œuvres incompréhensibles des masses. L’article de la Pravda déchaîne une campagne extrêmement virulente qui touche toutes les disciplines artistiques. C’est seulement lorsque Nikita Khrouchtchev parvient au pouvoir que l’étau se desserre enfin un peu et que des marges d’expérimentations réapparaissent pour les artistes, mais de façon limitée. La version de « Lady Macbeth », jouée durant ces années-là, rebaptisée Katerina Ismailova, est d’ailleurs très édulcorée.


À propos de l’exposition Rouge…

L’exposition Rouge. Art et utopie au pays des Soviets présente un ensemble de plus de 400 œuvres conçues dans un contexte social et politique particulier. Son parcours chronologique commence en 1917 avec la révolution d’Octobre et se termine en 1953, année de la mort de Staline. Elle interroge la manière dont le projet de société communiste a engendré des formes d’art spécifiques. Des années 1920, marquées par un grand nombre de propositions d’avant-garde, aux années 1930 qui voient l’affirmation d’un dogme esthétique, le parcours aborde tous les domaines des arts visuels : peinture, sculpture, architecture, photographie, cinéma, design, arts graphiques avec des œuvres, pour la plupart jamais montrées en France.

Les artistes tels que Rodtchenko, Malevitch, Klutsis … ont voulu accompagner par leurs œuvres l’édification du socialisme et contribuer à la transformation du mode de vie des masses. C’est cette histoire, ses tensions, ses élans comme ses revirements que relate l’exposition en posant la question d’une possible politisation des arts.

Art et utopie au pays des Soviets
Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais et le Centre Pompidou Musée national d’art moderne. Grand Palais, Galeries nationales, du 20 mars au 1er juillet 2019

Commissaire de l’exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov - scénographie : Valentina Dodi et Nicolas Groult

Dessine-moi Lady Macbeth de Mzensk

Lire la vidéo

Une minute pour comprendre l’intrigue

1:15 min

Dessine-moi Lady Macbeth de Mzensk

Par Octave

Du projet initial de Chostakovitch – consacrer une trilogie aux destins tragiques de femmes russes à travers les âges – ne demeura qu’un opéra coup-de-poing : Lady Macbeth de Mzensk. S’il est l’un des puissants ressorts de l’oeuvre, l’intertexte shakespearien est ici bien amer : contrairement à Lady Macbeth, Katerina Ismailova – qui, dans la Russie profonde du XIXe siècle, tombe amoureuse d’un employé de son mari et sera finalement acculée au suicide – est moins manipulatrice que victime d’une société violente et patriarcale. Krzysztof Warlikowski libère aujourd’hui la force de subversion de cette oeuvre brûlante et scandaleuse, qui a marqué les premières années de l’Opéra Bastille.

© Markus Werner / OnP

Requiem pour une femme russe

Lire la vidéo

Entretien avec Ingo Metzmacher

6:52 min

Requiem pour une femme russe

Par Marion Mirande

D’après le profil d’une femme adultère et meurtrière, Lady Macbeth de Mzensk est une œuvre dont la force sexuelle n’échappe pas à Staline lorsqu’il la découvre, en 1936. Publiquement accusé de pornographie, Dmitri Chostakovitch vécut dès lors dans l’angoisse d’être déporté en Sibérie, à l’image de Katerina Ismaïlova, son héroïne. En sa qualité de chef d’orchestre de cette nouvelle production, Ingo Metzmacher parle de la force subversive de cette musique et de son choix de ponctuer les troisième et quatrième actes par le Quatuor n°8 du compositeur soviétique. 

© DR

Sergueï, l’anti-prince

Lire la vidéo

Entretien avec Pavel Černoch

3:16 min

Sergueï, l’anti-prince

Par Cyril Pesenti

Dans Lady Macbeth de Mzensk, opéra de Dmitri Chostakovitch, Sergueï est l’objet de bien des convoitises. La mise en scène subversive de Krzysztof Warlikowski offre à Pavel Černoch la possibilité d’interpréter un Sergueï puissant et viscéral. Le ténor tchèque, davantage connu pour ses rôles de prince, s’empare non sans plaisir de ce personnage diabolique.    

Podcast Lady Macbeth de Mzensk

Écouter le podcast

"Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris" - en partenariat avec France Musique

07 min

Podcast Lady Macbeth de Mzensk

Par Nathalie Moller, France Musique

Avec « Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris », nous vous proposons des incursions originales dans la programmation de la saison à la faveur d’émissions produites par France Musique et l’Opéra national de Paris. Pour chacune des productions d’opéra et de ballet, Nathalie Moller pour le lyrique et Jean-Baptiste Urbain pour la danse, vous introduisent, avant votre passage dans nos théâtres, aux œuvres et aux artistes que vous allez découvrir. 

© Bernd Uhlig / OnP

Katerina ou l’ardeur

Lire la vidéo

Entretien avec Aušrinė Stundytė

5:38 min

Katerina ou l’ardeur

Par Marion Mirande

Dans sa criminelle Katerina Ismaïlova, Chostakovitch disait voir une profonde humanité. Quand le poids d’une société patriarcale et avilissante se fait trop pesant, existe-t-il un sentiment plus humain que celui de se vouloir passionnément aimée et désirée ? Guidée par Krzysztof Warlikowski, la flamboyante soprano lituanienne fait ses premiers pas à l’Opéra de Paris dans le rôle-titre de Lady Macbeth de Mzensk.

© FineArtImages/Leemage

« Frères humains, qui après nous vivez »

Lire l’article

Lady Macbeth, les raisons d’un scandale

06 min

« Frères humains, qui après nous vivez »

Par Charlotte Ginot-Slacik

Le texte est demeuré célèbre : le 28 janvier 1936, le journal La Pravda (La Vérité) publie une tribune intitulée « Le Chaos remplace la musique », dirigée contre le dernier opéra de Dmitri Chostakovitch, Lady Macbeth de Mzensk. Modernité dissonante et amoralité neurasthénique s’y trouvent tour à tour pointées comme autant de preuves de l’esprit « petit-bourgeois » du jeune compositeur. Derrière les attaques morales et esthétiques, la mise au pas voulue par Staline ne recèlerait-t-elle pas plutôt des enjeux viscéralement politiques ?    

Reprenons. 1932 : achèvement par le jeune compositeur de son deuxième opéra, récit d’une libération par la violence d’une femme enfermée dans un mariage sans amour, étouffant dans son milieu de marchands de province. « J’ai vu en Katerina Ismaïlova une femme énergique, douée, belle, qui meurt dans un cadre de vie familial morbide et oppressant, dans la Russie bourgeoise et féodale1. » (Chostakovitch)
La même année : le Parti dissout les associations artistiques jusqu’alors garantes d’une certaine tolérance esthétique pour les transformer en un système d’unions qui régit désormais tous les aspects de la vie musicale.
1934 : Lady Macbeth de Mzensk est créé simultanément à Moscou et à Leningrad.
La même année : les procès de Moscou lancent l’élimination des opposants politiques supposés ou avérés à Staline.
1936 : publication du « Chaos remplace la musique ».
La même année : les Grandes Purges constituent une élimination de masse au sein de la population civile soviétique.
Le rapprochement des dates est saisissant. À mesure que l’œuvre prend son élan, l’étau se resserre en U.R.S.S. « Nous sommes comme des lapins dans la cage d’un boa constrictor, le temps d’un clignement d’œil et quelqu’un d’autre disparaît. On sent bien que le cercle se resserre, se resserre. Au début ce n’étaient que des gens qu’on connaissait de loin, ensuite des amis, puis mon mari et Witek. Maintenant c’est mon père et Doulia. Chaque jour quelqu’un disparaît, cela n’arrête pas. » (Journal d’Emma Korzeniowska, septembre 19372)
Indéniablement, Katerina Ismaïlova, femme adultère triplement meurtrière, dominée par sa chair, demeure étrangère au nouvel idéal d’une femme soviétique forte, positive, altruiste. « Personne ne m’enlacera la taille, personne ne posera ses lèvres sur les miennes / Personne ne caressera ma blanche poitrine, personne ne m’épuisera de son désir passionné », chante l’héroïne au premier acte. À lire Chostakovitch, cette injonction au désir possède une dimension politique : « Dans Lady Macbeth, j’ai cherché à créer une satire qui dévoile, qui démasque et fait haïr l’épouvantable arbitraire, l’oppression de ce mode de vie des marchands3. » L’œuvre s’inscrit en outre dans un projet plus vaste que le musicien souhaitait consacrer à la femme russe, menant à l’évocation de l’émancipation féminine en Union soviétique. Lady Macbeth en aurait constitué le premier jalon, celui de l’oppression des femmes à l’époque tsariste. En cela, Chostakovitch se montre lecteur de Dostoïevski qui, dès le milieu du XIXe siècle, invoquait la libération du genre féminin : « Plus la société évoluera correctement, plus elle se normalisera, et plus on s’approchera de l’idéal d’humanité et notre attitude envers la femme se déterminera d’elle-même, sans projets préalables et imaginations utopiques4. » Subversif, ridiculisant les instances morales et politiques (policiers, juges…), le désir de l’héroïne et ses conséquences meurtrières déstabilisent l’ensemble de l’ordre familial et social.

Plus encore que l’explicitation de l’acte amoureux à la fin de l’acte I, c’est bien cette chair devenue facteur de destruction des valeurs morales et des instances sociales qui nous semble puissamment scandaleuse. À l’heure où la société soviétique renforce des schémas bien connus (socle familial, nationalisme patriotique), l’individualisme sans retenue selon Chostakovitch sonne rétrospectivement comme une provocation inconsciente.
Dmitri Chostakovitch dirigeant un orchestre (URSS), 1930. Photographie de Boris Ignatovitch
Dmitri Chostakovitch dirigeant un orchestre (URSS), 1930. Photographie de Boris Ignatovitch © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône / adoc-photos

Deuxième scandale, le bagne.
La genèse de Lady Macbeth se déploie à contre-courant du virage politique amorcé par le pouvoir. Disparition des individus et arrestations arbitraires deviennent progressivement monnaie courante. En ce sens, l’œuvre augure tragiquement des Grandes Purges. Le portrait de la prison esquissé par le musicien n’en est que plus insupportable. Misérables sont les bagnards lancés sur la route. Près de six ans après De la maison des morts de Janáček, Chostakovitch met en scène l’univers carcéral et son évocation rappelle, une fois de plus, la plume de Dostoïevski : « Tout être humain, quel qu’il puisse être, si abaissé soit-il, garde, même instinctivement, même inconsciemment, une exigence : qu’on respecte sa dignité humaine. Le détenu sait bien qu’il est un détenu, un paria, et il connaît sa place devant la hiérarchie : mais aucun fer rouge, aucune chaîne, ne peuvent lui faire oublier qu’il est un être humain. Et, comme de fait il est un être humain, donc, c’est en être humain qu’on doit le traiter5. »
Après l’ultime meurtre de l’héroïne, jalouse de la préférence de son ancien amant pour une codétenue plus jeune, les prisonniers reprennent leur chemin, chantant l’immensité des steppes sibériennes. Chostakovitch superpose à ce final tragique (incompatible, au demeurant, avec l’optimisme véhiculé par le réalisme socialiste !), l’un des plus célèbres chorals de Bach, « Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ » BWV 639 : « Vers toi je crie, Seigneur Jésus Christ ». Les bagnards se muent alors en des figures universelles, celles de prisonniers aux inflexions pathétiques. Le chant émouvant emprunté à Bach fait des coupables des « frères humains », dont les crimes ne peuvent occulter les souffrances. L’éthique de la prison selon Chostakovitch est placée sous le signe de la compassion. N’est-ce pas là le crime inexpiable de l’œuvre aux temps sombres des Grandes Purges ?


1. CHOSTAKOVITCH, (Dimitri), dans « L’Art Soviétique », 14 décembre 1933, Lady Macbeth du district de Mzensk, Paris, Avant-Scène Opéra n° 141, avril 2011, p. 71. 
2. KIZNY (Tomasz), La Grande Terreur en URSS, 1937-1938, Paris, Éditions Noir sur Blanc, 2013, p.87.

3. CHOSTAKOVITCH (Dimitri), Ibid., p. 70.
4. DOSTOÏEVSKI (Fédor), Récits, chroniques et polémiques, Paris, Gallimard, 1969, p. 1144.
5. DOSTOÏEVSKI (Fédor), Carnets de la maison des morts, Actes-Sud, Babel, 1999. 

© plainpicture/Millennium/Benedetta Casagrande

Transgressions dans Lady Macbeth de Mzensk

Lire l’article

Comment la musique enfreint la morale soviétique

07 min

Transgressions dans Lady Macbeth de Mzensk

Par Etienne Barilier

Composé sous Staline, l’opéra de Chostakovitch crie la passion charnelle. Mais peut-être davantage que la sensualité exacerbée par l’orchestre, c’est l’idée de liberté que semblait vouloir exprimer le compositeur.  

Dans cette Pradva qui, le 28 janvier 1936, voua l’opéra de Chostakovitch aux gémonies, la bêtise avait vraiment le front du taureau prêt à charger. L’article dénonçait et menaçait un compositeur ennemi des masses. De quoi trembler, d’autant plus qu’il avait été directement inspiré, sinon rédigé par Staline en personne, qui venait d’assister au spectacle. Cette philippique reprochait deux choses au malheureux compositeur : il avait écrit une cacophonie (le mot figurait en français dans le texte original), et il avait représenté l’amour « sous sa forme la plus vulgaire ». Mais les deux reproches n’en faisaient qu’un : « La musique glousse, vrombit, halète, souffle pour représenter avec réalisme les scènes d’amour ». Ou encore : « C’est le bruit musical qui est appelé à exprimer la passion ». Sur ce point, l’article avait raison : la transgression, en effet, était double. Paroles et musique.
Dans le livret, Chostakovitch avait osé parler de l’amour et montrer l’amour de la manière la plus crue. Et pour cela, il n’avait pas hésité à modifier le texte de la nouvelle dont il s’inspirait. Témoin cette séquence où, chez Leskov, la servante de Katerina se fait peser dans un tonneau, scène qui sous la plume du compositeur devient un viol collectif. Témoin aussi le personnage du beau-père, plus libidineux encore qu’il n’est impitoyable ; il fouette l’amant sous les yeux de la femme, trouvant dans ce geste une jouissance proprement sexuelle. Témoin encore la manière dont nous est annoncée l’impuissance du mari, sans parler des scènes où le désir qui habite l’héroïne s’exprime à l’état brut, sans la moindre circonlocution : « L’étalon se hâte de rejoindre la jument, le chat réclame la chatte, le pigeon cherche la colombe. Mais personne ne se hâte vers moi. […] Personne ne presse ses lèvres contre les miennes, personne ne caresse ma blanche poitrine, personne ne m’excite d’une caresse passionnée. »
Voilà pour le texte. Quant à la musique, elle ne faillit jamais à dire le désir dans toute sa touffeur, l’étreinte sexuelle dans toute sa fureur. Elle donne une telle violence aux pulsions qui habitent les personnages, que les meurtres dont ils vont être les auteurs nous paraissent naturels : paroxysmes d’un amour sauvage et comme enragé. Ce n’est pas à dire que Chostakovitch ne nous propose pas des passages lyriques et tendres. Ainsi, tout au début, la chanson de Katerina qui dit son ennui de n’avoir rien à faire, un ennui presque romantique ; pour un instant, on songe à Emma Bovary. La musique ici semble innocente, évoquant une chanson populaire russe. Cependant, une basse obstinée rythme sourdement la mélodie, et comme à contretemps : déjà, c’est le battement lancinant du désir.
À la fin du premier acte, Katerina, dans sa solitude torturée, gémit son besoin d’un amant. L’instant d’avant, lorsque son beau-père lui ordonne d’aller se coucher, on entend une figure récurrente aux cordes, douce mais obsessionnelle. Puis ce sont des roulements de timbale et la reptation d’une clarinette basse. Alors s’élève le chant explicite : « L’étalon se hâte de rejoindre la jument », soutenu par des cordes somptueuses, mais sans que s’éloigne la menace latente de la clarinette basse. Le chant devient peu à peu cri désespéré, qui n’est pas sans évoquer les fureurs de Salomé. C’est la musique même du déséquilibre et de l’inassouvissement.
Bientôt la harpe se fait entendre, puis le célesta, lambeaux d’innocence. Approche Sergueï, qu’accompagnent ironiquement le piccolo, le roulement des timbales, les notes dérisoires du célesta. La mélodie se fait sautillante, ironique. Sa fausse gaîté se dandine au-dessus du gouffre ; marivaudage hypocrite, avant que se déchaîne la vérité du désir. Le moins qu’on puisse dire est que la musique est à la hauteur des mots. Elle les supplantera bientôt, haletant avec les corps, dans une lutte amoureuse qui est lutte pour la vie. Progression terrible, suffocante, qui pourrait être celle d’un carnage, ou qui l’est précisément, car le mot même de carnage ne signifie-t-il pas consommation de la chair, ravage de la chair ? Explosions des cuivres, tournoiements des cordes, glissandi forcenés des trombones, bombardement des percussions. Littéralement, avec une rare férocité, des coups sont tirés. Puis tout casse et se défait, dans la brusque détumescence du sexe après l’orgasme.
Tout à la fin de l’opéra, les percussions qui scandaient le désir rythmeront la marche vers la mort, celle des forçats dans la steppe. Seul Wozzeck avait auparavant exploré ces régions extrêmes – et l’on sait que Chostakovitch avait été fortement impressionné par l’œuvre d’Alban Berg. Musique transgressive, donc, autant que le livret. Pas seulement parce qu’elle accompagne de ses ouragans précis les violences du texte, mais aussi parce que Chostakovitch y a combiné toutes sortes de langages (tonal, modal, plurimodal, chromatique, atonal), tout en recourant à des associations insolites d’instruments et de timbres, à de constants changements d’atmosphère, dans une sorte de moirure vertigineuse : de quoi faire hurler la Pravda au « chaos gauchiste ».

Dmitri Chostakovitch lisant La Pravda
Dmitri Chostakovitch lisant La Pravda © akg-images / Sputnik

Mais peut-être y avait-il plus encore, et qui est la marque propre de Chostakovitch, dont on ne sait jamais trop si sa musique nous présente masque ou visage : un mixte indémêlable de tragédie et de satire, de lyrisme et de sarcasme, d’émotion et d’ironie, de gravité et de ricanement. Une œuvre d’une ductilité et d’une complexité émotionnelles extrêmes. Et, avec elles, une vision fondamentalement ambiguë de l’âme humaine. Cette ambiguïté pourrait bien être à la fois la cause et la conséquence de l’oppression que le compositeur a subie sa vie durant. La cause, parce que même en se faisant violence, le compositeur restera inapte à écrire une musique du premier degré, réaliste et socialiste. La conséquence, parce que cette richesse et cette subtilité natives ont pu, sous l’effet de la peur, devenir dissimulation forcée, équivoque salutaire, comme dans la fameuse Cinquième Symphonie, reçue par le pouvoir (en 1937, l’année suivant la condamnation de la Pravda) comme un chant de triomphe et comme le signe du repentir du compositeur, mais qu’on peut tout aussi bien trouver cruellement et volontairement creuse.
Au début des années 1930, lorsque fut écrite Lady Macbeth de Mzensk, la complexité, l’insaisissabilité de Chostakovitch n’étaient certainement pas un effet de la dissimulation. Sauf peut-être dans la scène où le sergent de police souhaite perquisitionner chez Katerina pour la seule raison qu’elle ne l’a pas invité à sa noce. « Il nous faudrait bien un motif », médite-t-il avec cynisme, « mais un motif, ça se trouve toujours ». Dénonciation de l’arbitraire tsariste, n’est-ce pas ? Chostakovitch était donc inattaquable. Mais cela ne trompa sans doute personne, et surtout pas Staline, passé maître dans l’art de « trouver les motifs ».
Cependant cette allusion, malgré sa mortelle insolence, ne dut pas irriter le petit père des peuples autant que la musique de l’opéra, coupable de la faute suprême, celle qui consiste à dire : non, le monde n’est pas aussi simple que le rêve d’un despote. À tout prendre, la transgression érotique de l’œuvre, et l’impression qu’elle donnait de tout dire et de tout montrer sans pudeur cachait une transgression plus grave encore, celle même de la complexité, de l’ambiguïté. Un véritable artiste, ennemi de toujours des terribles simplificateurs, n’a de cesse de suggérer que si les corps peuvent être mis à nu, les âmes ne le seront jamais entièrement.    

  • Lady Macbeth de Mzensk by D. Chostakovitch (Aušrinė Stundytė)
  • Lady Macbeth de Mzensk by D. Chostakovitch (Aušrinė Stundytė & Pavel Černoch)
  • Lady Macbeth de Mzensk by D. Chostakovitch (Aušrinė Stundytė & Pavel Černoch)
  • Lady Macbeth de Mzensk by D. Chostakovitch (Alexander Tsymbalyuk)
  • Lady Macbeth de Mzensk by D. Chostakovitch - Trailer
  • Lumière sur : Les coulisses de Lady Macbeth de Mzensk #shorts #ParisOpera #opera #shostakovich
  • Lady Macbeth de Mzensk (saison 18/19)- Acte I

  • Lady Macbeth de Mzensk (saison 18/19)- Acte IV - Alexander Tsymbalyuk (Le Vieux Bagnard) Et Chœur

  • Lady Macbeth de Mzensk (saison 18/19)- Acte II - Pavel Černoch (Serguei)

  • Lady Macbeth de Mzensk (saison 18/19)- Interlude Orchestral

  • Lady Macbeth de Mzensk (saison 18/19)- Acte II - Dmitry Ulyanov (Boris Ismailov)

  • Lady Macbeth de Mzensk (saison 18/19)- Acte I - Aušrinė Stundytė (Katerina Ismailova)

Accès et services

Opéra Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

Transports en commun

Métro Bastille (lignes 1, 5 et 8), Gare de Lyon (RER)

Bus 29, 69, 76, 86, 87, 91, N01, N02, N11, N16

Calculer mon itinéraire
Parking

Parking Indigo Opéra Bastille 1 avenue Daumesnil 75012 Paris

Réservez votre place à tarif réduit

Dans les deux théâtres, des places à tarifs réduits sont vendues aux guichets à partir de 30 minutes avant la représentation :

  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

À l’Opéra Bastille
  • Ouverture une heure avant le début et jusqu’à la fin des représentations
  • Accessible depuis les espaces publics du théâtre
  • Renseignements 01 40 01 17 82

Opéra Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

Transports en commun

Métro Bastille (lignes 1, 5 et 8), Gare de Lyon (RER)

Bus 29, 69, 76, 86, 87, 91, N01, N02, N11, N16

Calculer mon itinéraire
Parking

Parking Indigo Opéra Bastille 1 avenue Daumesnil 75012 Paris

Réservez votre place à tarif réduit

Dans les deux théâtres, des places à tarifs réduits sont vendues aux guichets à partir de 30 minutes avant la représentation :

  • Places à 35 € pour les moins de 28 ans, demandeurs d’emploi (avec justificatif de moins de trois mois) et seniors de plus de 65 ans non imposables (avec justificatif de non-imposition de l’année en cours)
  • Places à 70 € pour les seniors de plus de 65 ans

Retrouvez les univers de l’opéra et du ballet dans les boutiques de l’Opéra national de Paris. Vous pourrez vous y procurer les programmes des spectacles, des livres, des enregistrements, mais aussi une large gamme de papeterie, vêtements et accessoires de mode, des bijoux et objets décoratifs, ainsi que le miel de l’Opéra.

À l’Opéra Bastille
  • Ouverture une heure avant le début et jusqu’à la fin des représentations
  • Accessible depuis les espaces publics du théâtre
  • Renseignements 01 40 01 17 82

Mécènes et partenaires

  • Mécènes des actions de l'Opéra national de Paris en faveur des jeunes

  • Mécène des retransmissions audiovisuelles de l’Opéra

Partenaires médias et techniques

Plongez dans l’univers Opéra de Paris

Nous suivre

Haut de Page