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Rigoletto
Opéra Bastille - du 11 avril au 30 mai 2016
Rigoletto
Giuseppe Verdi
Opéra Bastille - du 11 avril au 30 mai 2016
2h35 avec 1 entracte
Langue : Italien
À propos
En quelques mots :
"Seigneurs, rendez sa fille à un vieillard. Il ne vous en coûtera rien de la rendre, tout ce que j’ai au monde, c’est ma fille. Pitié, seigneurs, pitié."- Rigoletto, Acte II
« Oh ! Le Roi s’amuse est le plus grand sujet, et peut-être le plus grand drame des temps modernes. C’est une création digne de Shakespeare ! » Quelques mois avant d’adresser ces mots à Francesco Maria Piave pour le presser de « mettre Venise sens dessus dessous et faire en sorte que la Censure autorise ce sujet » – ce qui n’alla pas sans mal, la moralité ne tardant pas à s’en offusquer –, Verdi travaillait à une adaptation du Roi Lear. Et sans doute est-ce imprégné de la pièce de Shakespeare, son maître vénéré, qu’il lut le drame de Victor Hugo, sentant « comme un éclair, une inspiration » en trouvant sous la plume du Français, à laquelle il devait d’ailleurs le plus grand triomphe de ses « années de galère » avec Ernani, un équivalent au triangle formé par le Roi, sa fille et le fou.
Entre le duc, futile, licencieux, et Gilda, victime de l’ignorance dans laquelle elle est retenue prisonnière, se dresse la figure à deux visages du bouffon bossu et du père obsédé par la malédiction. Monstrueux et déchirant, grotesque et sublime, le rôle-titre atteint son apogée dans l’air « Cortigiani, vil razza dannata », dont le mouvement descendant, de l’explosion de rage à l’imploration, affirme la capacité du compositeur à plier une forme héritée du bel canto à la vérité du théâtre. Placée sous la direction de Nicola Luisotti, cette nouvelle production de Rigoletto marque la première collaboration du metteur en scène Claus Guth avec l’Opéra de Paris.
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Rigoletto
Melodramma en trois actes (1851)
D'après Victor Hugo, Le Roi s'amuse
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Représentations
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05:01’
Vidéo
Rigoletto
vu par l’Académie de l'Opéra national de Paris
La nouvelle production de Rigoletto mise en scène par Claus Guth est l'occasion de découvrir l'Académie de l’Opéra national de Paris, qui a pour ambition de promouvoir une nouvelle génération d’artistes, et le travail que ces jeunes artistes réalisent au sein de l’Orchestre.
03:13’
Vidéo
La Fille de Rigoletto
Portrait d’Olga Peretyatko
Olga Peretyatko fait ses débuts à l’Opéra Bastille dans une nouvelle production de Rigoletto signée Claus Guth. Au cœur des répétitions, la soprano évoque son rôle fétiche, Gilda, ainsi que le travail de création avec le metteur en scène.
© Albert Harlingue / Roger-Viollet
Article
Un bouffon difforme et tragique
Rigoletto en son siècle
08’
Personnage central de l’opéra de Verdi, Rigoletto a d’abord été inspiré à Hugo par Nicolas Ferrial alias Triboulet, bouffon à la cour du roi de France sous les règnes de Louis XII et de François Ier. « Pris dans un corps mal fait », le héros attisa les critiques de ceux qui jugeaient invraisemblables l’inscription de sentiments sublimes dans un tel physique. Erika Wicky replace ici la conception de ce héros dans le contexte scientifique de l’époque.
Car la laideur et la difformité étaient aussi recherchées pour un fou que l’intelligence chez un singe, la beauté du plumage chez un paon et le jargon chez un papegai ou perroquet. Paul Lacroix, Dissertation sur les fous des rois de France,
Triboulet, personnage principal de la pièce de Victor Hugo Le Roi s’amuse (1832), est une figure hautement contrastée. Ce bouffon de cour, qui semble emprunté au répertoire shakespearien, est à l’image du costume dont il est traditionnellement affublé : bigarré et bariolé de rayures contrastantes. Les sublimes sentiments paternels et le destin tragique de ce bouffon grotesque, quoiqu’ils aient contribué au mélange nécessaire à la réalisation du projet romantique, ont été accueillis par un égal mélange de sifflets et d’applaudissements. Les critiques les plus irascibles se sont accordés à juger ces dissonances invraisemblables et à fustiger le caractère trivial du héros tragique. Le National du 25 novembre 1832, par exemple, constate à propos de cette pièce que si l’art se tenait autrefois dans des « régions pures et éthérées » où il vivait « d’air pur et de miel », il prend dorénavant « ses modèles dans les petits fronts et les gros yeux, dans les grands nez, les dos voûtés et les estomacs plats et larges ».
C’est justement sur ces contrastes que repose le succès de Rigoletto (1851). L’intrigue de Victor Hugo transposée à Mantoue, traduite en italien et considérablement allégée par le librettiste Francesco Maria Piave avant d’être mise en musique par Verdi, a séduit par les nuances qu’a su souligner l’orchestration. Comme l’écrivait E. Vaïsse dans la Revue de Toulouse, le 25 mars 1860 : « Les situations, les contrastes du Roi s’amuse ressortent encore mieux sous les accords de la musique savante de Verdi. » En outre, la variété de sentiments assumée par le personnage de Rigoletto était propre à mettre en valeur le jeu du baryton choisi pour le rôle. « Il faut un grand comédien pour jouer Rigoletto », de manière à faire « ressortir toute la délicatesse » des nuances du personnage, lit-on à la une du journal L’Orchestre du 13 novembre 1859.
Qu’elle soit enthousiaste ou assassine, la critique, au XIXe siècle, a donc perçu un paradoxe dans le caractère tragique du bouffon. Au-delà de la réversibilité du rire et des pleurs, ce paradoxe réside dans la laideur et la méchanceté du personnage, dont on découvre les beaux sentiments. Si la laideur du bouffon est apparue inconciliable avec son amour paternel, ce n’est pas seulement parce qu’il semblait peu probable qu’il ait vécu une relation amoureuse, c’est aussi en vertu d’une association forte entre la beauté et la morale, entre les caractéristiques du corps et les vertus de l’âme. Le corps non idéalisé, dont la présence était a fortiori soulignée par l’infirmité, paraissait dès lors s’opposer aux raffinements de la civilisation.
On admet aisément aujourd’hui que la grandeur de l’âme soit sans rapport avec celle des jambes, mais cette conception, relativement récente à l’échelle de l’histoire, nous la devons aux progrès de la science moderne. Cécité, cheveux roux, peau noire, la moindre différence physique pouvait motiver, à l’époque de la Renaissance où Victor Hugo situe sa pièce, les plus violentes discriminations, voire des persécutions. Quoique dans une moindre mesure, le XIXe siècle qui voit naître Le Roi s’amuse et Rigoletto, est encore habité par de tels préjugés. On y constate le succès mondain de la physiognomonie, pseudo-science développée par Johann Kaspar Lavater dont les ouvrages, traduits en français dès la fin du XVIIIe siècle, font l’objet de plusieurs éditions. Animés par la conviction que les traits du visage et les caractéristiques corporelles pouvaient renseigner sur le tempérament et les facultés d’une personne en vertu d’un rapport confus de cause à effet, les amateurs de physiognomonie se livraient à l’analyse de divers faciès, y compris ceux de personnages historiques dont ils pouvaient observer les portraits. Nombreux sont aussi les contemporains de Hugo et de Verdi qui, dans le sillage du médecin allemand Franz Joseph Gall, auscultent les crânes pour en interpréter les bosses.
Bien qu’elles ne nous renvoient pas aux heures les plus glorieuses de l’histoire de la médecine, ces théories, qui visaient à rendre signifiantes les représentations humaines, ont considérablement affecté la création artistique de l’époque. Étant amplement répandues et ancrées dans des croyances populaires, elles jouaient également un rôle important dans la réception des œuvres. Cela encourage à considérer la difformité physique de Rigoletto (et celle de Triboulet) non seulement comme un ressort tragique, mais aussi comme un des enjeux historiques susceptibles d’éclairer l’œuvre de Verdi.
Voici comment Paul Lacroix, dans un texte paru en 1838 intitulé Les Deux Fous, décrit le bouffon : « Triboulet avait une énorme tête, avec de prodigieuses oreilles, une bouche largement fendue, un grand nez, de gros yeux saillants, sous un front bas et étroit. Sa poitrine plate et creuse, son dos taillé en voûte, ses jambes courtes et torses, ses bras longs et pendants amusaient le regard des dames comme s’il se fût agi d’un singe ou d’un perroquet ». Inutile d’aller se référer aux ouvrages de Lavater pour deviner que, selon les conceptions de l’époque, un tel physique n’augure rien de bon. Bien que Victor Hugo subvertisse le modèle physiognomonique au profit d’explications que nous qualifierions aujourd’hui de « psychologiques », dans une tirade considérablement tronquée par le librettiste Piave où le bouffon explique sa haine des courtisans par sa difformité :
Pris dans un corps mal fait où je suis mal à l’aise,
Tout rempli de dégoût de ma difformité,
Jaloux de toute force et de toute beauté
Il n’en reste pas moins que ce personnage est déterminé par son corps.
Le fait que le bouffon soit bossu constitue l’une des caractéristiques physiques les plus soulignées dans la pièce d’Hugo et le livret de Piave. Cette figure du bossu, très chère à Victor Hugo (Notre Dame de Paris est paru quelques mois avant la présentation du Roi s’amuse), revêt un intérêt particulier dans l’histoire médicale. En effet, tous ne partagent pas le jugement formulé par Giambattista Della Porta, médecin italien du XVIe siècle, dans son ouvrage La Physionomie humaine : « Pour moi, je tiens tous ceux qui sont mutilés ou imparfaits de corps pour méchants et principalement les bossus qui sont les pires de tous ». Les médecins ou penseurs qui se sont intéressés à eux, comme l’insatiable observateur La Bruyère, s’accordent à dire que les bossus font preuve de plus d’esprit que les autres. Cette vivacité intellectuelle était expliquée par la configuration du dos, qui permettrait un développement plus important du cerveau, l’excellence de l’esprit compensant l’infirmité physique.
Les justifications comportementales nuancent ainsi, au cours du XIXe siècle, l’explication physiologique : « L’habitude [que les bossus] ont d’être raillés les tient toujours en armes et les rend hostiles. (…) Leur vie entière est un tissu de méchancetés ingénieuses » (Isidore Bourdon, De la physiognomonie et la phrénologie, 1842). Si la « disposition à l’esprit et à la malice » des bossus n’est jamais remise en cause au XIXe siècle, elle faisait donc l’objet d’explications multiples visant à en déterminer les causes. Alimentées par ces lieux communs, la fascination du public du XIXe siècle pour les difformités physiques et leurs corollaires moraux n’était donc pas sans augmenter l’étrange force tragique de Rigoletto.
Érika Wicky est docteur en histoire de l’art (Université de Montréal), elle est actuellement chargée de recherches à l’université de Liège et chercheuse associée à Rennes 2. Elle s'intéresse à l'histoire du XIXe siècle et, tout particulièrement, aux écrits sur l’art et la photographie. En 2015, elle a publié Les paradoxes du détail : voir, savoir, représenter à l’ère de la photographie (Presses universitaires de Rennes, « Æsthetica »).
© Eléna Bauer / OnP
Article
L’humain et ses masques
Un portrait de Claus Guth
10’
L’art du contrepoint
Chez Claus Guth, la musique est à la base de la réflexion dramaturgique et ce que l’on voit sur scène tour à tour caresse, frictionne, questionne ce que l’on entend. Le metteur en scène fait sa première apparition en France à l’Opéra national de Lorraine en 2009, dans une co-production avec le Theater an der Wien du Messie de Haendel, oratorio réputé aride à la mise en scène. Particulièrement dans ce spectacle, l’invention scénique découle de l’écoute critique du metteur en scène, elle est le contrepoint de l’œuvre musicale et l’enrichit d’une nouvelle strate de signification. Par exemple, l’Alléluia – célébration par excellence, comme l’a dit Hannah Arendt, de « l’espérance et de la foi dans le monde »[1] dont la naissance est porteuse – est chanté autour d’un cercueil. Au centre de cette production, un personnage de suicidé, un businessman raté, privé de toute virilité par son épouse adultère. Les personnages sont vêtus de la banalité du costume-tailleur, mais mis à l’épreuve de situations extrêmes dans un dispositif scénique faisant se succéder grâce à un plateau tournant divers lieux où l’intime entre en collision avec le paraître, du funérarium à l’entreprise en passant par la chambre conjugale. Une constante dans le travail de Claus Guth est non pas d’illustrer, mais d’offrir un reflet nouveau aux œuvres en y distillant ses propres signes et symboles, sans s’inféoder ni aux rythmes ni aux timbres. Le drame qu’il tisse sur scène actualise le lyrisme de Haendel et rend palpable l’urgence originellement présente dans l’œuvre. Cette incarnation du Messie illumine ses thèmes fondamentaux qui sont la culpabilité, le rapport à la mort et l’espoir, tout en réussissant le tour de force de faire de cet oratorio le théâtre d’un mal-être contemporain dans un monde bouleversé par les crises – autant spirituelle, familiale, qu’économique.
Une constante dans le travail de Claus Guth est non pas d’illustrer, mais d’offrir un reflet nouveau aux œuvres en y distillant ses propres signes et symboles, sans s’inféoder ni aux rythmes ni aux timbres.
Raconter les récits cachés des opéras
Dans une co-production de l’Opernhaus de Zürich et du Teatro Liceu de Barcelone en 2011, Claus Guth dépouille Parsifal de sa mystique comme il avait dépouillé le Messie de sa christianité pour le transposer dans l’Allemagne de la Première Guerre mondiale. Le décor nous fait évoluer dans les différentes pièces d’un manoir/sanatorium en décrépitude, servant d’hôpital de campagne, où les chevaliers recueillent des soldats blessés. Dans cet ancien monde en train de s’écrouler, l’opéra de Wagner est présenté comme la transformation d’un de ces jeunes soldats blessés en leader charismatique. En proposant cette lecture de l’œuvre, il nous fait réentendre la puissance d’exaltation de la musique wagnérienne, nous fait pressentir sa dangerosité potentielle, sa vénénosité intestine. Proposition osée et à la réception délicate car rappelant des heures sombres de l’Europe ou le fascisme s’annonce. Claus Guth n’est pourtant pas un metteur en scène qui cherche à choquer où se complaire dans la polémique. Si les relectures fortes sont caractéristiques de son travail, l’ostentation ne l’est certainement pas. Révélateur des récits cachés des opéras, Claus Guth met en exergue des subversions souterraines qui affleurent sans étouffer le spectateur. Toujours élégamment mises en espace, avec une palette de couleurs harmonieuse, les productions de Claus Guth concilient l’intelligence avec le sensationnel grâce à une qualité d’exécution à l’attrait universel. Mais sous la surface soignée des décors, la violence n’est pas moins présente et le destin des personnages ne nous apparaît pas de façon moins implacable. Car tous ces moyens sont orientés vers un même but : raconter l’histoire. Claus Guth cherche à libérer notre vision et notre écoute des traditions de représentation de ces grands opéras pour nous les faire découvrir à nouveau, sous un angle inédit.
Laboratoire des émotions humaines
Le metteur en scène est attiré par la face cachée ou face sombre des comédies. L’humour chez Claus Guth n’est pas délassant mais au contraire déroutant.
La monstruosité des pulsions intérieures et le lustre des surfaces
Le soin apporté à la construction des personnages est un moyen de prédilection de Claus Guth pour illuminer la profondeur psychologique des œuvres. Peut-être est-ce précisément cela qui évite au metteur en scène le piège dans lequel tombent certains de ses pairs à la carrière dont la longévité et la stabilité n’est possible qu’en provoquant un certain consensus, et donc un manque de folie. Claus Guth n’a pas peur d’explorer les imperfections des personnages. Des productions telles que celle de Die Frau ohne Schatten de Richard Strauss à la Scala de Milan en 2012, reprise à Covent Garden l’année suivante, kaléidoscope freudien de projections de l’esprit du personnage principal de l’Impératrice, témoignent d’une passion pour les possibilités théâtrales qu’offre l’inconscient. Du travail de Claus Guth émane une fascination pour les tensions entre la monstruosité des pulsions intérieures et le lustre des surfaces. Les mobiles et les volontés, scrutés par l’œil aiguisé du metteur en scène, sont dépouillés et les personnages écorchés vifs. Les ressorts dramatiques des carambolages humains que sont la plupart des opéras nous apparaissent avec une vérité accablante. L’on ressent chez Claus Guth, comme souvent dans les productions modernes au retentissement durable, – et le metteur en scène en a signé plus d’une – que les sujets du drame ont peu ou rien appris de leur expérience. Nous – les spectateurs – sommes les sujets que Claus Guth responsabilise au fil de ses mises en scènes qui sont comme autant de miroirs critiques. Claus Guth nous promet un Rigoletto sans espoir de rédemption et nul doute que le metteur en scène saura offrir à l’œuvre des prolongements insoupçonnés.
Rigoletto de Giuseppe Verdi
Placée sous la direction de Nicola Luisotti, cette nouvelle production de Rigoletto marque la première collaboration du metteur en scène Claus Guth avec l’Opéra de Paris.
© Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet
Article
Le Roi s’amuse et son procès
Censure et société
05’
Tout comme la pièce de Victor Hugo, dont le livret de Rigoletto s’inspire, l’opéra de Verdi fut censuré à sa création. Si Victor Hugo décida d’abandonner sa bataille contre le pouvoir après avoir publié un texte demeuré célèbre sur la liberté d’expression, le compositeur dut transposer l’action et modifier l’intrigue pour que son chef-d’œuvre puisse être représenté.
«
L’apparition de ce drame au théâtre a donné lieu à un acte ministériel inouï. Le lendemain de la première représentation, l’auteur reçut de M. Jouslin de Lassalle, directeur de la scène au Théâtre-Français, le billet suivant, dont il conserve précieusement l’original :
"Il est dix heures et demie, et je reçois à l’instant l’ordre de suspendre les représentations du Roi s’amuse. C’est M. Taylor qui me communique cet ordre de la part du ministre.
Ce 23 novembre."
Le premier mouvement de l’auteur fut de douter. L’acte était arbitraire au point d’être incroyable. »
Victor Hugo intenta un procès au Théâtre-Français pour protester contre l’interdiction de sa pièce. On fut scandalisé tant par Triboulet, présenté en héros tragique, que par la charge politique de l’écrivain contre la monarchie. On jugea le tout profondément immoral.
Les questions de police des théâtres étaient alors du ressort du Ministère du Commerce et des Travaux publics, dirigé par le comte d’Argout. En 1832, on vivait sous le régime de la Charte de 1830 qui stipulait dans son article 7 : « La censure ne peut jamais être rétablie ». Si l’article, très imprécis, concernait plutôt la liberté de la presse - chèrement acquise -, la liberté du théâtre, non mentionnée, était implicitement admise. Dans ce cadre, l’intention de l’écrivain était de mener un procès politique afin de démontrer l’illégalité de la censure qui frappait son œuvre. Dans un premier temps, Victor Hugo explicita son combat pour « sa liberté de poète et de citoyen » dans la Préface à l’édition du Roi s’amuse, parue le 3 décembre 1832. Le jour du procès, 19 décembre 1832, l’avocat Odilon Barrot plaida pour l’écrivain puis celui-ci prit la parole et lut son discours devant une foule nombreuse :
« … Aujourd’hui on me bannit du théâtre, demain on me bannira du pays ; aujourd’hui on me bâillonne, demain on me déportera ; aujourd’hui l’état de siège est dans la littérature, demain il sera dans la cité. »
Le discours de Victor Hugo fut - habilement - donné par l’éditeur Renduel aux acheteurs de l’ouvrage, puis inséré à partir de la troisième édition. Ce discours restera célèbre pour la défense de la liberté d’expression.
Le Tribunal de Commerce se déclara incompétent dans
son jugement du 2 janvier 1833. Victor Hugo ne fit pas appel et renonça à sa
pension octroyée par Louis XVIII.
Après 1830, dans ces années d’agitation républicaine, beaucoup de spectacles représentés portaient un regard ironique et railleur sur la société et donnaient à entendre un réel et profond sentiment de révolte contre toutes formes d’autorité. On se moquait de tout et de tous. Le duo de bandits drolatiques, Robert Macaire et son compère Bertrand - personnages de L’Auberge des adrets, représentée en 1823 et reprise en 1832 - s’inscrivaient du fait de leur immense succès dans cette veine séditieuse. À cette époque, le théâtre était le grand divertissement des classes populaires et la Monarchie de Juillet se méfiait du côté dangereux que le théâtre pouvait toujours induire. Déjà en 1831, Louis-Philippe avait tenté de rétablir la censure sans y parvenir. Elle le sera en 1835, l’année de l’attentat de Giuseppe Fieschi qui tua dix-huit personnes sans atteindre le roi, ni les princes ses fils.
Tardivement, Victor Hugo a ajouté sur la première page du manuscrit de sa pièce : « écrit le 1er acte au milieu de la fusillade de l’insurrection » ; c’est-à-dire au moment où l’importante barricade du cloître Saint-Merri est enlevée par les forces gouvernementales, lors des évènements des 5 et 6 juin 1832.
Du théâtre à l’opéra, notons que Giuseppe Verdi lui-même - admirateur passionné de l’œuvre de Victor Hugo - fut l’objet de la censure de l’Empire austro-hongrois qui occupait une partie de l’Italie, et notamment Venise, quand il voulut adapter la pièce telle que. Il dut alors procéder à une transposition pour parvenir au chef-d’œuvre que nous pouvons toujours voir et entendre aujourd’hui.Marie-Laurence Marco est responsable de la bibliothèque et de la documentation de la Maison de Victor Hugo. Historienne du XIXe siècle, elle prépare une thèse sur Les paysages sonores dans l'œuvre poétique de Victor Hugo.
© Christophe Pelé/OnP
Article
La boîte en carton de Rigoletto
Un spectacle, un souvenir
04’
Frédéric Crozat, Benoît Dheilly et Jean-Yves Dary :
Quand la maquette du scénographe est livrée au bureau d’études, nous avons pour mission de la respecter scrupuleusement pour qu’elle puisse devenir une réalité physique : nous évaluons alors ce qui est faisable ou non, nous dessinons les plans des décors, en tenant compte des contraintes de la mécanique et de la sécurité de l’ensemble, dans le respect des spécificités de chacune des deux salles.
Il s’agit d’abord de s’assurer que le décor tel qu’il a été imaginé peut fonctionner sur le plateau. Deux personnes, que nous appelons les « implanteuses », vérifient ainsi la faisabilité du décor, tableau par tableau, à l’aide des maquettes et indiquent comment les éléments du décor vont bouger sur scène en fonction du déroulé de l’histoire. Cette étude va conditionner la construction des éléments de décor. Pour le carton de Rigoletto, nous nous sommes posés toutes sortes de questions : à la fin de la représentation, comment est-il déblayé ? Pendant, est-il fixe ou mobile? Combien y aura-t-il d’artistes dessus ? Si tous les décors sont uniques en leur genre, celui de Rigoletto a posé quelques difficultés : il y avait beaucoup d'éléments mécaniques à mettre en place car la boîte en carton ne cesse d’évoluer, de s’ouvrir, de s’agrandir ou de rétrécir tout au long de l’opéra…
Lors de la seconde étape, les dessinateurs projeteurs du bureau d’études réalisent des plans de construction des décors pour chacun des ateliers. Au-delà de l’aspect très technique de notre métier, le rendu esthétique est pour nous primordial : le décor, c’est avant tout « l’art du faux ». Il s’agit toujours d’une démarche très précise. Ce qui est amusant pour Rigoletto, c’est que la maquette qui nous a été remise était déjà réellement en carton. Nous y avons donc directement relevé les écarts des ondulations du matériau pour recréer les alvéoles de la façon la plus réaliste possible. Il s’agissait ensuite de trouver le bon matériau : ici, comme souvent, il s’agit de polystyrène recouvert de fibre de verre. Enfin, l’atelier peinture s’est occupé de trouver le bon mélange de couleur pour retranscrire au mieux l’aspect du carton. Nous avons ainsi fait réaliser des échantillons que nous avons présentés au décorateur, avant qu’ils soient validés.
Nous ne jugeons jamais le parti pris esthétique des metteurs en scène : notre liberté s’exerce uniquement dans les choix techniques. Mais il est intéressant de connaître l’esprit d’une production ; ici, le scénographe nous a expliqué que la boîte en carton devait traduire l’enfermement psychique du héros : le spectateur vit le drame à travers les yeux d’un Rigoletto brisé, revivant la tragédie qui a causé la mort de sa fille Gilda.
Chaque décor est unique, et voir l’aboutissement de notre travail, de la maquette, telle qu’elle a été dessinée jusqu’au décor « vivant » est particulièrement gratifiant, d’autant plus que cela se fait dans un laps de temps très court. Des souvenirs marquants, nous en avons à chaque saison et Rigoletto fut une belle aventure.
Propos recueillis par Juliette Puaux
Mécènes et partenaires
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AXA France, Mécène de Rigoletto
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Les avant-premières bénéficient du soutien exceptionnel de la Fondation BNP Paribas
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Avec le soutien de l'AROP
Ce spectacle fera l’objet d’une captation audiovisuelle
Une co-production Opéra national de Paris, FRA Productions, avec le soutien du CNC et la participation de France 2, réalisée par François Roussillon.
Diffusion en direct au cinéma le 26 avril, sur Culture Box à partir du 28 avril et sur France 2 ultérieurement.
Diffusion sur France Musique en différé le 28 mai.
Partenaires médias et techniques
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Mécène des retransmissions audiovisuelles de l'Opéra
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Coproducteur de la captation
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Partenaire média
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Diffuseur Web
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Distributeur TV international
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Distributeur cinéma
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Distributeur cinéma
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Diffuseur radio