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Don Giovanni
Opéra Bastille - du 01 février au 11 mars 2022
Don Giovanni
Wolfgang Amadeus Mozart
Opéra Bastille - du 01 février au 11 mars 2022
3h25 avec 1 entracte
Langue : Italien
Surtitrage : Français / Anglais
-
Première : 1 fév. 2022
À propos
En quelques mots :
Pour sa deuxième collaboration avec Da Ponte, Mozart devait marquer l’histoire de l’opéra avec ce Don Giovanni qui conquiert et soumet les femmes, avec la bestialité et la froideur du prédateur ferrant sa proie. Le pouvoir est au coeur du théâtre d’Ivo van Hove. Pour cet amoureux de Shakespeare, la scène est le lieu où doivent coexister des forces contradictoires, quitte à plonger le spectateur dans le doute en le privant de ses rassurantes certitudes. Le metteur en scène revisite le mythe du séducteur qui hante depuis des siècles la culture européenne et en fait un personnage cruel, manipulateur et perturbateur de l’ordre social.
PERSONNAGES
Don Giovanni : Dévoyé qui collectionne les conquêtes féminines
Leporello : Valet de Don Giovanni
Donna Anna : Jeune femme agressée par Don Giovanni
Don Ottavio : Fiancé de Donna Anna
Le Commandeur : Père de Donna Anna, tué par Don Giovanni
Donna Elvira : Ancienne conquête de Don Giovanni
Zerlina : Jeune femme de condition modeste
Masetto : Fiancé de Zerlina
- Ouverture
- Première partie 90 mn
- Entracte 30 mn
- Deuxième partie 85 mn
- Fin
-
Don Giovanni
Dramma giocoso en deux actes (1787)
-
Représentations
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Don Giovanni (saison 21/22) - Acte 1 (Adela Zaharia)
Don Giovanni (saison 21/22) - Acte 1 (Christian Van Horn et Christina Gansch)
Don Giovanni (saison 21/22) - Acte 1 (Christian Van Horn)
Don Giovanni (saison 21/22) - Acte 2 (Christina Gansch)
Coulisses
01:15’
Vidéo
Dessine-moi Don Giovanni
Une minute pour comprendre l’intrigue
Playlist
© Charles Duprat / OnP
Article
Don Giovanni dissolu
Entretien avec Jan Vandenhouwe, dramaturge
09’
Mozart a choisi d’intituler son opéra Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni – soit Le dissolu puni ou Don Giovanni. Or, le XIXe siècle fera fi de cette périphrase pour voir en Don Giovanni un séducteur flamboyant, une force subversive et libératoire. Pour cette nouvelle mise en scène de Don Giovanni, vous avez choisi de remonter le courant de cette interprétation et d’opérer un retour aux sources…
Comment mettre en scène ce châtiment présenté comme divin ?
Quels crimes cette punition métaphysique vient-elle châtier ?
Jan Vandenhouwe : Si l’on s’intéresse à la « voix » de ce châtiment – celle de la statue du Commandeur – on se rend compte qu’elle intervient à deux moments précis de l’opéra : la première fois lorsque, dans le cimetière, Don Giovanni raille le mariage ; la seconde lors du finale de l’acte II, lorsque Donna Elvira lui rend visite pour lui accorder son pardon, et que Don Giovanni le refuse. On touche ici à deux principes essentiels. Le pardon est l’un des thèmes primordiaux des opéras de Mozart, que l’on songe aux Noces de Figaro ou à La Clémence de Titus. Quant au mariage, il était l’une des pierres angulaires de la politique de l’Empereur Joseph II, qui avait été le premier souverain européen à légiférer sur le sujet : le mariage était alors conçu comme un symbole destiné à préserver l’équilibre de la société en jugulant les excès de l’Ancien Régime.
Au fond, n’y a-t-il pas dans ce débat qui se cristallise autour du personnage de Don Giovanni – séducteur ou prédateur ? – quelque chose qui rappelle notre actualité : d’un côté, des voix qui s’élèvent pour dénoncer la domination masculine et, de l’autre, ceux qui voient dans ce mouvement de libération de la parole un péril, une remise en cause de leurs privilèges ?
Jan Vandenhouwe : Cette tendance qui a consisté à absoudre Don Giovanni de ses crimes est née au XIXe siècle, notamment sous la plume d’Hoffmann : Don Giovanni est alors devenu synonyme de libération, voire de Révolution. Pourtant, Mozart ne pouvait être plus clair : lorsqu’il entre en scène, son premier fait d’armes consiste à violer une femme et à tuer son père. Et quelques minutes plus tard, le voici dans la rue, déjà en quête d’une nouvelle victime… En vérité, Don Giovanni ne représente pas la modernité mais tous les abus de l’Ancien Régime. La « liberté » qu’il prône n’a rien à voir avec celle de la Révolution française : c’est celle du dominant qui n’accepte aucune entrave à sa jouissance. Ivo souligne également son caractère mythomane. Le problème de Don Giovanni, si j’ose dire, c’est qu’il croit lui-même au mythe donjuanisme : il s’est lui-même persuadé qu’il était capable de séduire toutes ces femmes inscrites dans le catalogue que déroule Leporello. Or, dans l’opéra, on ne peut pas dire que ses entreprises soient très probantes. Seule Elvira est amoureuse de lui. Anna l’a refusé et, quant à Zerlina, il essaie de la violer. Le seul moment de l’œuvre où on le voit en action, en situation de séduire, c’est lors de ce duo avec Zerlina. Mais nous savons pertinemment que la jeune paysanne n’est que la énième victime à qui il promet le mariage afin de passer une nuit avec elle et de l’abandonner, exactement comme il l’a fait avec Elvira à Burgos. Et cette tentative se solde in fine par un échec. Pour un homme censé avoir séduit quelques milliers de femmes, il passe plutôt pour un loser…
Face au principe de destruction que représente Don Giovanni, comment s’organise la résistance ?
Jan Vandenhouwe : À l’opposé de Don Giovanni, Zerlina et Masetto incarnent le couple « naturel », selon une idée chère à Mozart que l’on retrouvera plus tard dans La Flûte enchantée : il s’agit d’un amour pur, simple, avec une pointe de jalousie, érotique, sensuel, sexuel… Il faut également souligner que Masetto est l’un des rares personnages parmi tous les opéras mozartiens que l’on peut qualifier de révolutionnaire. Dans l’acte II, il prend les armes et lève une « armée » pour se mettre en quête de Don Giovanni, déterminé à en finir, à anéantir ce vieux système d’oppression et de domination des femmes comme des pauvres. Nous sommes en 1787, deux ans avant la Révolution française, et l’air de Masetto se pare d’accents qui rappellent les chants révolutionnaires qu’entonnait alors le peuple.
Don Ottavio, de son côté, est l’Homme des Lumières, la voix de la Raison. Il affirme que son objectif est de « découvrir la vérité » : pour l’époque, la référence est claire. Respectueux des lois, du contrat social et des droits humains, il représente la véritable modernité. Il n’est ni faible ni ennuyeux, contrairement à ce que le XIXe siècle a bien voulu nous faire croire. Pour lui permettre de développer ses idéaux, Mozart a composé deux airs qui comptent parmi les plus beaux qu’il ait jamais écrits pour un ténor : deux airs dans le style seria, empreints d’un humanisme profond, qui annonce déjà Titus. On ne peut imaginer plus grand contraste avec Don Giovanni qui, à proprement parler, n’a pas d’air – à l’exception du fulgurant « air du champagne » et de la canzonetta de l’acte II – mais cette dernière est littéralement « l’air d’un autre » puisqu’il se déguise alors en valet pour séduire la camériste de Donna Elvira.
Dans une perspective historique, vous mettez en relation les excès de Don Giovanni avec le monde d’avant, l’Ancien Régime. Quelle résonance ce personnage trouve-t-il dans notre société contemporaine ?
Playlist
© Charles Duprat / OnP
Article
Ce(ux) qui reste(nt)
Don Giovanni et les autres
09’
De quoi blâme-t-on Don Giovanni ? D’aimer trop l’amour et la séduction, les femmes et la rencontre de l’autre ? Alice Zeniter s’est emparée du récit de Da Ponte et Mozart, livrant une fiction contemporaine, dans une relecture politique. À quelques siècles d’écart, toujours plus de conformisme, encore moins d’humanisme. Sommes-nous pour nous-mêmes ou pour autrui, le débat a rarement résonné avec autant d’actualité…
Il dit qu'il refuse les valeurs qui tiennent debout la vie de tous ceux qui l'entourent et que personne ne peut le juger puisqu'il ne reste plus rien au nom de quoi le juger. Le respect, la fidélité, la parole donnée, la dette, ça n’existe pas pour lui, il dit, c'est du vent, je ne veux pas me conformer à du vent. Il dit qu'il est comme un pays qui aurait fait sécession et que sur la petite portion de terre qu'il est, lui, il y a que sa loi qui s'exerce et cette loi, c'est l'absence de loi.
C'est difficile de travailler avec lui, de travailler pour lui, dans ces conditions. Franchement, je crois que je reste juste parce que j'ai pris l'habitude, en fait je me suis déshabitué du reste du monde et de la société et ça serait trop lourd d'avoir à tout réapprendre.
Parfois, le soir, quand on roule les blousons sous nos têtes et qu'on fait un feu pour se réchauffer, on parle de ce qui reste si on rejette les valeurs des autres. Pourquoi on aurait peur du vide, il dit. Et moi je réponds qu'on est pas faits pour ça, c'est tout. Il raconte qu'on peut s'élever alors, qu'il y a pas grand-chose que l'homme fait aujourd'hui qui ait été dans ses cordes au départ. Il dit qu'il a pas peur du vide, lui, que c'est à lui de se pencher le plus pour aller regarder ce qu'il y a là-dedans, que c'est presque un devoir, je crois pas, puisque pour lui c'est facile ? Si, si, vous avez raison si vous voulez, après tout, c'est pas mes affaires. Je peux pas lui répondre à chaque fois. Ça me fatigue trop.
Parfois je lui dis qu'il se comporte mal juste parce qu'il peut se le permettre et que s'il était dans ma situation, s'il était personne et sorti de nulle part, il se tiendrait un peu mieux, il filerait droit. Je lui dis que son anti-conformisme, c'est un genre de conformisme pour ceux de la haute. Il vient du douillet, il peut jouer les durs. Quand il est de bonne humeur, ça passe. Il se marre. Il dit : « D'accord, Leporello, mais comment est-ce que tu veux que je vienne d'ailleurs que de là d'où je viens ? Mes rêves de gosse viennent d'une enfance bourgeoise, ok, mais je n'ai pas eu d'autre enfance. On ne peut pas vraiment me le reprocher. »
Des fois, je lui dis aussi que son délire sur lui comme pays, ça marche seulement s'il approche pas les autres. Dès qu'il touche un autre corps, alors il y a un problème de frontière, d'invasion et tout. Je dis : « On passe dans le droit international. C'est pas les mêmes lois. » Il se fout de moi, il demande : « Parce que tu as lu la Convention de Genève, toi ? » Et c'est vrai que je l'ai pas lue. Mais n'empêche.
Ça fait deux jours que j'ai pas dormi comme il faut. C'est toujours comme ça. Ça lui prend, il appelle, je dis non et puis je rapplique. C'est comme de l'intérim mais en mieux payé. C'est pas comme si j'avais vraiment le choix.
Moi, si j'avais une maison comme il a, je passerais pas mes nuits dehors comme un chien, à renifler et à guetter. Je serais bien peinard dans mon canapé avec écran géant et j'inviterais des potes, même s'il m'en reste plus beaucoup vu que depuis des années que je bosse avec Giovanni, je suis pas rentré souvent au village, et j'ai raté trop de soirées pour comprendre encore les blagues de la bande quand je reviens. Je lui ai dit que s'il en faisait rien de cette baraque, il avait qu'à me la filer. Il a dit : « Pourquoi pas… de toutes manières, c'est un trou perdu. » Il parle de partir en Amérique, ou à Berlin, ou en Thaïlande. Chaque jour, c'est une nouvelle idée. Au début, je me disais que c'était bidon. En ce moment, je me dis qu'il a tellement de types après lui qu'il va avoir du mal à faire autrement. Des nanas aussi mais les nanas au bout d'un moment, elles lâchent. C'est pas qu'elles sont moins tenaces, c'est qu'elles sont moins cons. Il faut être un bonhomme pour se dire que ça vaut la peine de courser un type plusieurs semaines pour des questions d'honneur. Comme si ça avait pas déjà foutu le bordel dans ta vie de te retrouver cocu, tu brades tout ce qui te reste pour courir après le responsable. Au début, j'avoue, j'étais plutôt de leur côté. Je disais à Giovanni : « Evidemment ils veulent vous faire la peau, faut les comprendre. » Mais quand je vois à quel point ils s'acharnent… S'ils ont vraiment rien d'autre à faire de leur vie, c'est que leur vie, c'est pas grand-chose. J'ai du mal à avoir de la sympathie et j'ai plus de respect, c'est clair.
Giovanni, au moins, il essaie des choses. Je peux pas dire que je suis d'accord avec tout mais il y a un côté impressionnant. Dans ma bande d'avant, il y en a plein qui sont en couple parce qu'ils ont plus envie de se casser à chercher. Ils ont trouvé une fille ou un mec potable et ils restent parce que c'est là, c'est sous la main. Dès que l'autre a le dos tourné, et va s'y que je te bave dessus : il est chiant, elle est chiante, c'est un beauf, c'est une hystéro. Giovanni, il se barre dès qu'il voit que ça va pas le faire. Il reste pas pour se plaindre. Si c'est pas l'absolu, c'est bye-bye et la bise à la famille. Parfois, les gens disent que c'est un queutard. Que c'est une maladie, à ce stade. Les gens qui disent ça, ils savent que dalle. Il baise pas tant que ça, en fait. Il passe trop de temps à essayer de convaincre les filles. Là, par exemple, on fait quoi ? On baise ? On baise ouallou. On attend que la fille sorte. Et quand elle va sortir, elle va l'envoyer chier parce qu'elle va se marier bientôt et que pour qui il se prend. Il va lui dire qu'il campe devant chez elle pour apercevoir sa beauté, elle va lui dire que c'est qu'un clochard. On sera reparti pour une autre nuit dans le parc. Ça prend un temps de fou, son truc. Il m'a dit un jour : « Leporello, s'il s'agissait seulement de baiser, alors j'aurais clairement plus d'occasions de le faire si j'étais en couple. Tu imagines ? Si j'avais une copine, une fille dingue de moi, et on aurait toute la maison pour se sauter dessus et toutes les heures du jour et de la nuit pour se dévorer, là ce serait la fête. On ne compterait même plus. On sortirait du lit juste pour aller chercher à manger ou un verre d'eau. On ne répondrait pas au téléphone. » J'ai dit que ça avait l'air d'être la belle vie, ce qu'il décrivait. Il a dit : « Ouais...on baise beaucoup plus quand on est en couple, tout le monde fait semblant de l'ignorer. On baise beaucoup plus mais on rencontre beaucoup moins de gens. C'est bizarre que ça intéresse aussi peu de monde, la rencontre. »
C'est pas pour se donner le beau rôle qu'il dit ça. Je peux témoigner. Si un jour, ils le mettent en tôle, je leur dirai. Je viendrai au tribunal avec une belle veste, pour faire sérieux, et je leur raconterai des trucs qu'il y a que moi qui sais sur Giovanni. C'est pas des conneries, ses trucs de rencontre. C'est pas « rencontre » comme pour les sites internet. Les gens, c'est pas des plans. Je leur raconterai ce que j'ai vu depuis des années. Comment il aborde tout le monde comme s'il pouvait se passer quelque chose. Homme, femme, vieux, jeune, on s'en fout. Il y va comme si au-dedans, il pouvait y avoir une réponse pour lui. Je sais même pas une réponse à quoi. Peut-être qu'il le sait pas non plus. Une réponse à une question qu'il s'est pas encore posée. Et si c'est pas là, eh ben c'est pas grave, on passe au suivant, merci d'avoir essayé. Je leur dirai que le problème de Giovanni, c'est juste qu'il comprend pas que les gens veulent pas avoir essayé, ils veulent avoir réussi. Ils savent pas forcément à quoi, eux non plus, ils connaissent pas le jeu, ils connaissent pas les règles, mais au bout du compte, ils veulent qu'on leur dise qu'ils ont gagné la partie. Le problème de Giovanni, c'est pas Giovanni. C'est les gens.Playlist
L'Opéra chez soi
Quel est ce feu qui pousse Don Giovanni à séduire, à soumettre, à conquérir les femmes une à une, avec la fièvre et la froideur du prédateur ferrant sa proie, à poursuivre à travers elles un obscur objet qui toujours se dérobe à lui ?
© Christophe Pelé / OnP
Podcast
Podcast Don Giovanni
"Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris" - en partenariat avec France Musique
07’
-
En partenariat avec France Musique
Avec « Dansez ! Chantez ! 7 minutes à l’Opéra de Paris », nous vous proposons des incursions originales dans la programmation de la saison à la faveur d’émissions produites par France Musique et l’Opéra national de Paris. Pour chacune des productions d’opéra et de ballet, Judith Chaine pour le lyrique et Stéphane Grant pour la danse, vous introduisent, avant votre passage dans nos théâtres, aux œuvres et aux artistes que vous allez découvrir.
© Elena Bauer / OnP
Article
Les gratte-ciel de Don Giovanni
Un spectacle, un souvenir
04’
Max-Olivier Ducout est Chef du service Atelier de décors.
« L’une des raisons pour lesquelles cette production de Don Giovanni [2006] a fait grand bruit tient assurément à sa mise en scène, confiée au réalisateur autrichien Michael Haneke. La particularité de ce dernier était bien sûr de venir du cinéma : avec Così fan tutte [donné à Madrid puis à Bruxelles], Don Giovanni est à ce jour son unique excursion dans le domaine lyrique. Pour la scénographie, nous avions travaillé avec Christoph Kanter, son collaborateur de longue date : il a notamment réalisé les décors de Benny’s Video, de 71 fragments d’une chronologie du hasard, de Funny Games, de La Pianiste ou encore du Ruban blanc.
Lors de notre rencontre dans les ateliers, il nous avait apporté une maquette virtuelle, modélisée en 3D. Je m’en souviens car, si cette pratique était déjà répandue au cinéma, elle était alors assez nouvelle au théâtre. J’ai moi-même eu l’occasion de travailler dans ces deux milieux et je dois dire qu’à l’opéra, j’ai une préférence pour les maquettes physiques, en volume : nous avons besoin d'avoir entre les mains un objet concret pour comprendre et nous assurer des distances, des espaces des volumes et des découvertes sur le plateau.
Mais venons-en aux gratte-ciel. Cette partie de la scénographie fonctionne selon le principe bien connu de la découverte : il s'agit du dernier plan d'un décor qui peut par exemple représenter un paysage bucolique ou les toits de Paris. Ce peut être une toile peinte, un bas-relief ou une maquette. L’effet est souvent renforcé par une baie vitrée qui sépare la découverte du reste de l'espace, comme c'est le cas ici. Cette découverte doit respecter les règles de perspective imposées par la distance à l’objectif. C’est ce principe qui est reconduit ici, l’œil du spectateur remplaçant celui de la caméra.
Par les fenêtres des tours éclairées dans la nuit, on aperçoit l’intérieur des bureaux. Nous aurions pu peindre ces « scènes immobiles » sur un tulle, mais Christoph Kanter tenait à utiliser des images réelles. Il s’est donc rendu à La Défense de nuit pour photographier les buildings d'affaires et nous a ramené tout un jeu de clichés pris sur le vif. Nous avons ensuite agrandi les diapositives avant de les fixer sur les immeubles en les éclairant de l'intérieur.
Ce désir de réalité s’exprime à d’autres endroits du décor, notamment sur le choix des matériaux : Christoph Kanter a souhaité un placage en véritable bois teint, et non du contreplaqué peint. C’est un vaste débat qui se pose aux scénographes : sur scène, doit-on montrer le vrai matériau ou un trompe-l’œil ? Il me semble qu’il y a une certaine sécurité à vouloir utiliser de vraies matières : le danger d'un décor de théâtre, c'est précisément de faire trop « décor de théâtre ». Mais d'autres considérations entrent en compte : d'une part, il peut arriver que le matériau véritable ne puisse être utilisé à cause de son poids (béton), de sa fragilité (verre) ou de la réglementation en vigueur dans le théâtre (sable) ; d'autre part, à l’opéra, les spectateurs sont assis à trente mètres du plateau, et, à cette distance, un marbre authentique peut faire toc tandis qu'un faux semblera plus vrai que nature. En cela, la campagne d’échantillons, lors de laquelle nous présentons les matériaux au scénographe, est très importante. Alors vrai ou vraisemblable ? Je me garderais donc bien de formuler ici une règle générale.
Mais revenons à nos gratte-ciel : dans sa mise en scène, Michael Haneke a imaginé que Giovanni était le directeur général de l’entreprise où se déroule le drame. Il souhaitait donc que son bureau se situe tout en haut de la tour, pour signifier le pouvoir que lui confère ce titre. Afin de créer cette impression de hauteur, il fallait que les immeubles semblent descendre en-dessous du niveau de la scène, de sorte que les spectateurs ne puissent jamais en voir le bas, fussent-ils assis au deuxième balcon. Nous avons donc posé les tours sur des miroirs horizontaux, pour créer cette impression d'abîme. Restait à ménager une trappe, trop proche du rebord pour être visible, afin que le corps du dissolu puisse disparaître lorsque les employés s’en débarrassent en le jetant dans le vide. »
Propos recueillis par Simon Hatab
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