Don
Quichotte marque
en cette fin d’année le retour des tutus chatoyants sur la scène de l’Opéra Bastille.
Né à l’Opéra de Paris et consacré avec La
Sylphide en 1832, le tutu est devenu le symbole de la danseuse classique.
Rudolf Noureev disait à ses danseuses qu’il fallait « porter le tutu »,
au sens de porter le costume et savoir le présenter aux regards, tout comme on
dit dans la mode « enlever le costume ». Quelle est l’histoire du tutu devenu indissociable de
la danseuse ? Rencontre avec Martine Kahane, ancienne directrice de la
Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, et Anne-Marie Legrand,
responsable de l’Atelier flou*au Palais Garnier.
Le mot « tutu » n’entre dans l’usage que vers 1881, d’où vient ce terme ?
Martine Kahane : Le mot « tutu » a trois origines possibles, bien qu’aucune d’entre elles ne soit attestée. On pense d’abord qu’il renvoie au redoublement de tulles du costume. « Tutu » aurait comme autre signification possible « petit cul d’enfant ». Enfin, la blague grivoise des anciens abonnés de l’Opéra « panpan tutu » pourrait également être une des origines du mot.
Comment le tutu est-il apparu ?
M.K. : Il fait partie de l’évolution du costume de danse. Si on remonte aux costumes des ballets de cour, on voit qu’on a essayé tous les types d’habits (c’était alors le terme pour costumes), confectionnés dans des textiles plutôt lourds. L’apparition du tutu tient aussi à l’histoire du textile : costumes de cour, costumes civils et costumes de scène s’allègent de plus en plus au fil du temps - avant que l’époque victorienne ne corsette à nouveau les femmes, avec des cols baleinés jusqu’au cou, de longues jupes allant jusqu’au sol et de longues manches fermées.
Finalement, le tutu apparaît dans les années 1830 dans un contexte artistique très riche. À
l’origine, dans La Sylphide
notamment, le tutu romantique ressemblait à une robe d’été, arrivant à mi-mollet,
avec un modeste décolleté et des petites manches « ballon ». Au fur
et à mesure du temps, cette robe va se raccourcir, en prenant plus de volume.
Les manches vont disparaître et le corsage sera de plus en plus décolleté. Puis
des ornements seront rajoutés sur le bustier et le plateau pour aboutir au tutu
tel qu’on le conçoit aujourd’hui, c’est-à-dire plutôt court, dégageant les
jambes et le haut du corps. Le fantasme du tutu sera tel que des variations de formes
- tutus longs, courts, carrés - apparaitront par la suite.
Quelle image de la femme est alors façonnée par les différents courants artistiques et littéraires du XIXe siècle ?
M.K. : De
très grands artistes romantiques vont s’attacher à réenchanter un monde abîmé,
selon eux, par le matérialisme. Tous les courants artistiques vont évoquer des créatures
mystérieuses, des femmes éthérées, plus esprits que créatures de chair. La
femme n’est alors ni épouse, ni mère : c’est une éternelle fiancée, qui ne
s’accomplit, comme l’amour, que dans la mort. La femme est condamnée au blanc,
la couleur de la pureté. Henriette de Mortsauf, l’héroïne du Lys dans la vallée d’Honoré de Balzac, témoigne
de la quasi-équivalence entre les héroïnes littéraires et les personnages
féminins des ballets romantiques.
Quelles ont été les raisons du passage du tutu romantique (long) au tutu académique (court) ?
M.K. :
Toute l’histoire du costume de danse est liée à la technique et à l’évolution
des corps, qui sont elles-mêmes liées aux canons de la beauté, à la santé et à
la pudeur. Puisque les mouvements des bras et des jambes s’amplifient, on veut davantage
montrer le corps afin de mettre la technique en valeur. Ceci aboutira au
maillot intégral, marque d’un corps complètement libéré. Avec la vogue du
sport, un corps sain est un corps qu’on montre. Enfin, le cinéma modifie aussi
les mœurs et le rapport au corps : étant donné que le corps n’est pas
matériellement devant le public, l’actrice, comme le spectateur, peuvent s’affranchir
de beaucoup de choses. Bien sûr, les tutus ont aussi raccourci après la
Première Guerre mondiale, puis encore après la Seconde, faute de textiles,
toutes les matières premières étant rares.
Quels modèles de tutu académique étaient fabriqués lors de votre arrivée à l’Atelier Flou ?
Anne-Marie Legrand : Quand je suis arrivée à l’Opéra national de Paris en
1982, on faisait encore les tutus à cerclette. Ils étaient jusqu’alors la patte
de l’Opéra de Paris. Ce que nous appelons une cerclette était intégrée dans une bande de tulle, qui
elle-même était froncée et insérée au centre des volants pour assurer le
maintien du tutu. Leur
confection était un savoir-faire jalousement gardé, puisque la transmission se
faisait oralement à l’époque. On ne pouvait pas être formé à l’extérieur de
l’atelier. Quand Rudolf Noureev est arrivé, il a demandé que nous fassions des
tutus galettes entre autres pour Raymonda
(1983), LeLac des cygnes (1984) ou La
Bayadère (1992). En comparaison aux tutus à cerclette, la densité de tulle
pour chaque volant est beaucoup plus importante. Les plateaux sont plus grands,
ce qui rend le port de bras des danseuses plus ample. Selon une règle simple,
le rayon du tutu doit correspondre à la longueur de bras des danseuses, afin
qu’elles puissent en toucher le bord du bout des doigts.
Hormis le retrait de la cerclette, comment distingue-t-on le tutu galette du tutu à cerclette ?
A-M. L. : Le
tutu galette est plus lourd qu’un tutu à cerclette, à cause de cette densité de
tulle, plus importante. Pour les productions actuelles, nous sommes passés de treize
à onze volants pour des raisons de temps de fabrication, de poids et de coût. Les
bords peuvent être droits ou « cocottés », reconnaissables aux vaguelettes
coupées à la main, autre caractéristique des tutus galettes de la période
Rudolf Noureev.
Quelles sont les principales étapes de la confection d’un tutu ?
A-M. L. : Le
tutu est composé d’une trousse (terme employé pour la culotte), sur laquelle
sont cousus les volants, du plus court au plus long (de 11 à 13 volants)
au-dessus desquels est posé un empiècement, d’une hauteur d’environ 6 cm. Une
fois cette opération faite, le tutu ressemble à un gros chou. Le tout est
ensuite « bagué » : une multitude de grands points un peu
lâches, exécutés à la main, permettant de discipliner et donner au tutu cette
forme de « galette » que l’on appel plateau de tulle. Ensuite,
suivant les besoins artistiques. Il pourra être garni de dentelle, perles,
paillettes, etc… suivant l’inspiration du décorateur. Puis viendra le bustier,
qui finalisera le costume. En raison du grand nombre de volants, le plateau
tulle du tutu dit « anglais » demande un temps de fabrication plus
long : trois jours et demi environ, alors que le juponnage du tutu romantique
à quatre volants ne prend qu’une journée et demi.
*L’Atelier flou est l’atelier responsable de la confection des costumes féminins (au Palais Garnier, il réalise les costumes des spectacles chorégraphiques, à l’Opéra Bastille ceux des productions lyriques).