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Ouvrage sacré, teinté d’ésotérisme, Parsifal confronte tout metteur en scène à des questions qui l’obligent à prendre parti : quelle est cette mystérieuse communauté du Graal ? Quel but poursuit le sorcier Klingsor ? De quoi Kundry est-il le nom ? A l’occasion de la nouvelle production proposée par Richard Jones, en 2018, Octave rencontrait le metteur en scène pour évoquer sa vision de l’opéra de Wagner.
À travers les chevaliers du Graal, Parsifal questionne l’idée de communauté. Comment imaginez-vous cette communauté ?
Richard Jones : C’est une communauté masculine,
composée d’apôtres de la non-violence, respectant - comme Wagner - la vie
animale jusque dans ses habitudes alimentaires (végétarisme), croyant en
l’unité de tous les êtres vivants. Mais ils sont aussi capables de briser leurs
propres règles et de faire preuve de violence. Je pense qu’ils croient
également en une possible réincarnation, car Gurnemanz émet cette hypothèse à
propos de Kundry : elle expierait ses péchés. Bien sûr, les symboles
chrétiens ne sont pas absents. Il y a un Erlöser, un rédempteur. L’idée
de sacrifice est centrale. Je n’ai pas cherché à esquiver ces motifs. Il y a
aussi un livre, celui de Titurel, primordial pour la confrérie. Je pense que ce
livre contient ses dogmes et ses règles – la question des dogmes dans la pensée
wagnérienne étant particulièrement sensible.
L’opéra est construit sur l’opposition forte de deux univers : celui des chevaliers du Graal et celui du magicien Klingsor…
R. J. : Il y a deux niveaux d’illusion : un monde
pornographique délirant et un monde dogmatique qui l’est tout autant. Les deux sont
amenés à prendre fin, à trouver leur résolution dans la bonté, l’élévation, la
compassion. Je pense que ces illusions sont là pour combler un vide, pour compenser
la peur de la sexualité et de l’intimité. Il y a également une évolution tout
au long de l’œuvre dans le rapport qu’ont au dogme les membres de cette
communauté : à l’acte I, ils sont attachés à leur foi. À l’acte III, leur foi diminue. Désormais,
elle ne subsiste plus qu’à travers des rituels qu’ils accomplissent comme des
gestes vides de sens. Il existe cet écrit de Wagner à propos de la religion où
il dit que ses symboles doivent être sauvegardés, mais pas le dogme ni son
institution.
Votre lecture de Parsifal questionne également la place de l’imaginaire scientifique dans nos mythologies contemporaines…
R. J. :: Nous avons imaginé que Klingsor était un
généticien. La génétique est envisagée comme une forme de magie. Klingsor crée
des femmes hypersexualisées. Il a également recours à l’hypnose : il a
hypnotisé Kundry en lui faisant croire qu’elle avait plusieurs personnalités,
qu’elle était, en autres, Gundriga, Herodias, Kundry… Il hypnotise également
les chevaliers qui traversent la montagne. Ils ne reviennent jamais, comme dans
ce mythe des Lotophages.