Ari Benjamin Meyers
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Ari Benjamin Meyers fait danser l’Opéra de Paris
Un nouvel espace pour une nouvelle musique — Par Solène Souriau
Pour sa première création à l’Opéra de Paris, l’artiste-chorégraphe Tino Sehgal collabore avec le compositeur Ari Benjamin Meyers qui, pour l’occasion, crée une musique originale pour huit musiciens. Figure éclectique de la musique contemporaine, aussi bien habitué aux grandes maisons d’Opéra qu’aux clubs et boîtes de nuit berlinoises, Ari Benjamin Meyers ose bousculer les conventions et, comme Tino Sehgal, propose une nouvelle manière de vivre l’expérience artistique. Dans la fosse, guitare et basses électriques mais aussi violoncelle et percussions font trembler les murs du Palais Garnier. Rencontre avec un compositeur à part.
Comment est né le projet ?
C’est la rencontre entre l’artiste et la maison qui vous a poussé à accepter de composer pour cette pièce ?
Tino Sehgal est un artiste qui bouscule les codes et les conventions. De l’inviter dans une institution qui symbolise autant ces conventions et traditions pérennes est déjà une manière de les questionner. J’ai pris très au sérieux sa proposition. Ensemble, nous avons réfléchi sur ce que signifiait le ballet aujourd’hui, pour nous et pour le public. Je partage la conception de Tino Sehgal : nous essayons tous les deux de créer de nouveaux espaces, de briser les frontières entre le spectateur et l’interprète et de proposer une nouvelle manière d’écouter de la musique. La force du projet se trouve dans la rencontre entre l’œuvre et le lieu. C’est pourquoi j’ai choisi de mêler instruments classiques et enregistrements, d’avoir une nomenclature à mi-chemin entre le groupe de rock et l’orchestre de chambre et d’utiliser un équipement très technologique. De voir cet équipement dans la fosse de l’Opéra Garnier crée un contraste puissant. Nous ne sommes pas habitués à entendre cela à l’Opéra, rien qu’au niveau du volume et de l’amplification.
Vous avez eu un parcours assez atypique. Votre nom est presque plus connu dans le milieu des arts plastiques, vous êtes représenté par une galerie (Esther Schipper, la même que Tino Sehgal) et vous vous produisez davantage dans des musées que dans des salles de concert. Cependant, vous êtes aussi invité dans les prestigieuses maisons d’opéra et vous avez déjà composé trois opéras. D’où vient cette diversité au sein même de votre travail ?
Cette idée de créer un nouvel espace dédié à la musique vous vient-elle de votre proximité avec les arts plastiques, et de votre travail sur des « nouveaux » objets avec des artistes contemporains ?
Quelle différence y-a-t-il entre composer pour l’opéra et composer pour le ballet ?
La composition d’une œuvre lyrique est une action plus personnelle et intime. Vous pouvez travailler avec des collaborateurs mais un opéra reste une pièce autonome et indépendante. Au contraire, les partitions pour la danse contemporaine peuvent être très ouvertes et flexibles. Elles se transforment souvent au fil des performances et l’improvisation tient une part très importante dans la réalisation de la musique. La composition de (sans titre) (2016) se trouve entre ces deux processus. J’ai commencé par lui proposer des séquences musique et il revenait vers moi avec des suggestions. Nous avons continué cet échange très régulier lors des répétitions. Dans un sens, notre collaboration, faite d’allers-retours, reste très classique.
Quelles étaient les intentions de Tino Sehgal ? Vous a-t-il guidé en vous donnant des pistes, des thèmes à explorer ?
Il s’agit moins de thèmes que de concepts. Pour nous, la pièce devait interroger les rapports entre la technologie et l’homme, la machine et l’individu. Nous vivons dans un monde surconnecté et nous avons voulu donner au ballet une forte dimension technologique, dans la chorégraphie mais aussi dans le traitement musical. Nous avons également travaillé sur l’idée de « remix », l’idée d’une version originale qui aurait été altérée, modifiée avec le temps. Quel objet cela crée et comment faire quelque chose de nouveau avec un matériau préexistant ? N’est-ce pas ce que nous faisons à l’Opéra de Paris ? Les danseurs classiques avec le ballet, les chanteurs d’opéra avec le répertoire.
Propos recueillis par Solène Souriau
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