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IV. L’ère des controverses
Face à l’Académie royale de musique, qui détient le monopole des spectacles chantés en français, la Comédie-Italienne, installée à l’Hôtel de Bourgogne,...
IV. L’ère des controverses
Face à l’Académie royale de musique, qui détient le monopole des spectacles chantés en français, la Comédie-Italienne, installée à l’Hôtel de Bourgogne, prend pour cible le genre sérieux de l’Opéra, incarné par la tragédie en musique, et devient dans les années 1680 et 1690 le berceau de la parodie d’opéra. Palaprat et Dufresny créent ainsi des pièces qui mettent en scène des personnages nobles sous des traits burlesques, qui s’expriment de façon grossière dans un mélange de français et d’italien. Ravalant les opéras de Lully et Quinault au rang de farces bouffonnes, ces premiers « opéras comiques » avant l’heure suscitent le rire des mélomanes.
Chassés de leur théâtre en 1697 pour avoir déplu au roi, les Italiens trouvent alors refuge chez les Forains, qui tirent profit de cette situation pour s’approprier leur technique de jeu et élargir leur répertoire. Souvent considérés comme des saltimbanques ambulants et sans gloire, ces derniers parviennent à s’imposer en quelques années comme les plus sérieux concurrents de l’Opéra.
Après la création de l’Opéra-Comique en 1715 et le rétablissement de la Comédie-Italienne en 1716, le comique forain poursuit sa propre voie, mais finit par contaminer les autres scènes rivales. Les années 1740 témoignent du succès des pièces bouffonnes à l’Opéra, avec Les Amours de Ragonde (1742) de Mouret, qui raconte la passion d’une mégère pour un jeune paysan, mais surtout Platée (1749) de Rameau, véritable chef-d’œuvre du genre comique et point d’orgue de la parodie d’opéra.
L’arrivée à l’Opéra de Paris d’une troupe de chanteurs italiens provoque, en 1752, un véritable choc culturel. Le succès retentissant de La Serva padrona de Pergolèse est à l’origine de la querelle des Bouffons qui oppose les partisans de l’opéra napolitain, regroupés derrière Grimm et Rousseau, à ceux de la musique française qui, choqués de voir des « histrions ultramontains » profaner ce temple du goût qu’est l’Opéra de Paris, en appellent à Rameau, vu comme le garant du grand genre de la tragédie. Par œuvres et pamphlets interposés, chacun s’interroge sur la place du comique à l’Opéra, la préséance de la mélodie ou de l’harmonie, l’expressivité du chant et le naturel du récitatif parlando qui s’apparente au discours animé.
Les uns jugent tape-à-l’œil la virtuosité des Italiens pour le chant, le violon et la danse, quand les autres perçoivent comme ennuyeuse la finesse du style français. La danse à l’Opéra, jusqu’ici imperméable aux sauts et aux tours prodigieux des Italiens, est confrontée en 1739 à la virtuosité technique de Barbara Campanini. Battant l’entrechat à huit, la « Barbarina » suscite la controverse, certains craignant que la danse noble française ne soit déclassée par les cabrioles des bouffons italiens.
De même, pour les décors, l’introduction par Servandoni de l’audacieuse perspective per angolo vient bouleverser la rigoureuse symétrie observée par les Berain pendant près d’un demi-siècle. Ainsi, quand Boucher transpose à l’Opéra son univers pictural éthéré, certains ne manquent pas d’opposer les lacunes du « peintre de chevalet » français aux ingénieux tours d’optique de l’architecte italien.
L’une des principales caractéristiques de l’Opéra de Paris au XVIIIe siècle est d’avoir maintenu à son répertoire ce que l’on appelait les « anciens opéras », c’est-à-dire ceux de Lully et de ses proches successeurs. Ce phénomène prend une dimension particulière dans les années 1750 et 1760, entre la fin de la querelle des Bouffons (1754) et l’arrivée de Gluck à Paris (1774). Durant cette période, l’Opéra de Paris ne crée plus que 13 tragédies, dont la plupart proviennent de l’ancien répertoire remis au goût du jour.
Non seulement des œuvres considérées comme démodées continuent d’être remises à la scène, mais leur récurrence devient un enjeu qui touche à l’identité même de l’opéra français. Pour ses défenseurs, la reprise cyclique des « anciens opéras » incarne un attachement au « genre national », au moment où celui-ci se trouve mis en cause par la musique italienne, tandis qu’aux yeux de leurs détracteurs, tel Grimm, il ne s’agit que d’un « vieux et détestable fonds » que l’Opéra présente sous un nouvel habillage.
En effet, pour rendre acceptables ces anciens ouvrages, les directeurs de l’Opéra les adaptent, les réorchestrent, y ajoutent ou suppriment des pièces, et les transforment en pots-pourris plus ou moins hétéroclites selon les cas.
La reprise des vieux succès qui ont forgé l’identité musicale française oblige aussi les dessinateurs de décors et de costumes à se positionner par rapport à leurs prédécesseurs, tel Boquet qui tantôt réinvente l’habillement des personnages des anciennes tragédies de Lully, tantôt se contente de moderniser les prototypes légués par Berain.
Dans les années 1770, un grand vent de réforme souffle sur l’Opéra de Paris. La musique, la dramaturgie, la danse, les costumes, les décors et, même la gestion administrative de l’institution, sont visés par des volontés réformatrices.
Une nouvelle querelle franco-italienne surgit et oppose deux camps sur la façon de renouveler la tragédie lyrique française. Les uns se rangent derrière Gluck, qui tente d’appliquer ses réformes en France, par une meilleure liaison de l’air et du récitatif, mais aussi par une utilisation plus dramatique de l’orchestre, des chœurs et de la pantomime. Les autres en appellent à Piccinni pour imposer à l’opéra français certaines conventions de l’opera seria, ainsi qu’un langage musical italianisant, favorisant la mélodie.
Du côté de la danse, l’arrivée de Noverre à la tête du ballet de l’Opéra, de 1776 à 1781, est pour lui l’occasion d’appliquer sa réforme. Dénonçant le caractère mécanique, symétrique et ornemental de la danse française, il veut faire du danseur un acteur à part entière qui, par le biais de la pantomime, peut raconter une histoire et exprimer des passions. Cela suppose un costume plus authentique, débarrassé des masques, perruques, panaches, paniers et gants qui privent le danseur de son expressivité et déforment les proportions de sa silhouette. Malgré l’appui de Boquet, dessinateur des habits de l’Opéra, le refus exprimé par les interprètes du ballet, ne permet pas à Noverre d’aller au bout de ses idées.
L’incendie de l’Opéra de 1781 apparaît comme un mauvais présage pour l’Académie royale de musique. Contrainte de se déplacer du Palais-Royal à la porte Saint-Martin, loin du centre culturel de la capitale, elle tente de renouveler son répertoire en continuant d’accueillir des compositeurs italiens qui s’emploient moins à promouvoir la musique de leur pays qu’à consolider le modèle de la tragédie lyrique, mis à mal par le départ de Gluck en 1780. En 1787, Beaumarchais fournit à Salieri un livret au parfum révolutionnaire, Tarare, qui embrase la capitale.
Le succès n’étant pas toujours au rendez-vous, l’Opéra voit son existence menacée. Le violoniste Viotti se demande s’il est du devoir de l’État d’entretenir une institution qui accumule autant de déficits et, dans un mémoire adressé au roi, se propose de racheter le privilège de l’Opéra. Quelques mois plus tard, Louis XVI cède l’Opéra – qui relevait de l’intendance des Menus Plaisirs – à un corps public, celui de la ville de Paris, qui en reprend en 1790 le contrôle financier. Mais la loi du 13 janvier 1791, qui proclame la liberté des théâtres et met fin au système des privilèges, est fatale à l’Académie royale de musique : elle entraîne l’ouverture d’une foule de salles dans la capitale et accroît l’offre théâtrale.
Dans ce contexte, l’administrateur Leroux rédige un Rapport sur l’Opéra qu’il remet au corps municipal de Paris. Certain que la ville peut tirer profit de cette institution, il parvient à convaincre le premier gouvernement révolutionnaire de la nécessité de sauver l’Opéra et, pour de nombreuses années encore, d’en assurer le rayonnement.
Place de l’Opéra
75009 Paris
Place de la Bastille
75012 Paris
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