La carrière de Joseph Haydn se divise en deux périodes : la première au service de la famille Esterházy, dans la partie hongroise de l’Empire des Habsbourg, avec des fonctions musicales variées et un statut de musicien serviteur d’une cour princière ; la seconde, celle de la liberté et des voyages à Paris et Londres, est marquée par une gloire éclatante dans toute l’Europe. Le Trio en sol majeur, dit « Zigeunertrio » (« trio tzigane »), a été composé en 1795, dans les dernières semaines du second séjour en Angleterre de Haydn.

L’oeuvre tire son titre de son mouvement final, « all’ Ongarese » (« à la hongroise »), jouant sur toutes sortes d’effets ornementaux censés évoquer les violons tziganes ou la musique populaire de Hongrie. Haydn utilise aussi un certain nombre de procédés harmoniques à l’orientale (chromatismes, intervalles diminués) qui sont en fait, à peu de choses près, les mêmes que ceux appliqués à la musique dite turque de son époque…

All’Ongarese, alla Zingarese ou alla Turca, c’est là, pour les compositeurs de cette période, une simple occasion de s’approprier le charme et les étrangetés d’un Orient aux limites assez floues. Le Trio n° 1 en si majeur op. 8 de Johannes Brahms, composé à l’âge de 20 ans, au passage des années 1853 et 1854, appartient à la période qui voit le lien du jeune compositeur avec le couple Schumann – Robert Schumann est pour lui un maître, que la mort lui enlèvera deux ans plus tard ; avec Clara Schumann, il entretiendra jusqu’à la fin de sa vie une profonde amitié.

On peut percevoir dans cette oeuvre de jeunesse comme un condensé des caractères esthétiques de la musique de Brahms, formant « portrait de l’artiste en apprenti », en particulier dans l’alliage d’élan mélodique, de plénitude et de sens architectural. Avec ce trio, on entre dans un paysage ample, tour à tour lumineux (comme le thème qui inaugure le premier mouvement) et mélancolique, fantasmagorique (Scherzo), marqué presque continûment par l’esprit du lied (en particulier dans l’ Adagio). La poésie qui marque l’invention mélodique est celle d’un rêveur, promeneur et solitaire, tels que les portraits de Brahms par ses amis ou par la postérité nous l’ont fait découvrir. L’oeuvre déploie l’espace sonore de façon magistrale, tout en suggérant aussi la fugacité et l’insaisissable.

Hélène Pierrakos