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L’Opéra populaire

Épisode 2 - La révolution Bastille

— Par Aurélien Poidevin

L’Opéra populaire
À l’occasion des trente ans de l’Opéra Bastille, Aurélien Poidevin revient sur ce projet historique qui devait profondément modifier la morphologie du paysage musical national et mondial : quels sont les principes qui ont présidé à l’élaboration du projet d’un opéra populaire ? Comment s’est déroulé un chantier aussi titanesque ?

En 1969, l’Opéra de Paris fêtait ses 300 ans. Les métiers du spectacle, les spectateurs et les pouvoirs publics partageaient alors un même diagnostic : le Palais Garnier allait peu à peu devenir un outil obsolète ne permettant plus de répondre à la double exigence du temps présent qui consistait à renouveler le genre et à élargir le public de l’opéra[1]. L’édifice conçu par Charles Garnier en 1875 resterait un magnifique écrin pour les joyaux du répertoire mais sa structure avait atteint ses limites, notamment lorsqu’il fallait créer des œuvres nouvelles. Vingt ans ont suffi pour imaginer et concevoir un nouvel outil au service du spectacle. L’Opéra Bastille, théâtre moderne inauguré le 13 juillet 1989, incarnerait désormais l’avenir de l’institution, sans faire d’ombre à la « Grande boutique ».

Pourtant, quelques années plus tôt, rien n’était acquis. Le compositeur Marcel Landowski avait pris la plume dans Le Figaro du 10 juillet 1985 pour partager les craintes ressenties par une partie du monde de l’art : « Opéra Bastille. Brûlot d’espérance ou tombe de la musique ? » Les artisans de ce projet pharaonique s’étaient déjà entendus pour apporter leur propre réponse. L’architecte-urbaniste Gérard Charlet qui avait rejoint la mission Opéra Bastille dès 1982, résume les enjeux de cette aventure hors-norme :

"La grande ambition du nouvel Opéra, c’est d’assurer un véritable avenir à l’art lyrique en réunissant toutes ses composantes en un seul lieu : la grande salle et la salle modulable ouvertes à toutes les formes musicales connues ou à découvrir, intègrent donc la création au répertoire, et permettent ainsi la fusion des formes nécessaires à la survie de l’art lyrique. C’est en ce sens que s’élabore le premier germe du projet."

© Chantier de construction de l’Opéra Bastille en 1986 © Gérard Guillat / OnP

Et voici comment, entre 1981 et 1989, s’érigea l’un des trois plus grands monuments parisiens après la Bibliothèque nationale de France et le ministère des Finances. En effet, le nouveau temple de l’opéra voulu par François Mitterrand allait devenir plus vaste que le musée du Louvre. Quelques chiffres suffisent à prendre la mesure de ce chantier titanesque :

  • 22 000 m² de surface au sol
  • 17 000 m³ de volume
  • 4 550 m² d’espace de répétition
  • 2 640 m² d’espaces scéniques (incluant la scène, l’arrière-scène et les espaces de dégagement côté cour et côté jardin)
  • Un amphithéâtre de 500 places
  • Un studio de 280 places
  • Un coût de réalisation estimé à 427 millions d’euros
  • 13 000 camions toupies de béton
  • 8 257 portes
  • Une aire de stockage pour 45 conteneurs de décors et 2000 m² de réserve de costumes

Il s’agissait d’apporter une réponse à un problème de taille : comment faire coexister, dans une seule et même institution, avec la plus grande harmonie possible, l’art lyrique et la danse dont l’importance n’avait cessé de croître depuis l’aventure des Ballets russes (1909-1929) ? La solution paraissait simple : il suffisait de donner entre 250 et 300 représentations par an devant un parterre de 750 000 à 800 000 spectateurs. Et l’invention d’un outil performant devait permettre de réaliser cette utopie…

L’architecte Carlos Ott l’avait traduite sous la forme d’une équation apparemment tout aussi simple : la voix humaine était invariable et c’est donc elle qui imposerait la jauge de la salle de spectacle, de manière à ne pas avoir à sonoriser les représentations d’opéras. Ainsi, chacun savait qu’au-delà de 3 000 places il serait vain d’espérer jouer des spectacles de qualité. D’autres contraintes allaient aussitôt s’ajouter à l’acoustique : l’opéra ou le ballet requièrent des places offrant une excellente visibilité. Or, sur les 1 991 places que compte le Palais Garnier dans les années 1980, près de 500 sont aveugles ! Pour résoudre cette équation, Carlos Ott propose une salle de 2 700 places rompant avec le principe du fer à cheval propre aux théâtres à l’italienne, à remplir environ huit fois par semaine (six soirées, deux matinées) et ce durant quarante-quatre semaines par an.

Le plateau et ses dégagements © Florian Kleinefenn / OnP
Le plateau et ses dégagements © Florian Kleinefenn / OnP

Dès lors, nombreux sont les observateurs qui soulignent un mystérieux paradoxe : avec une scène de 25 mètres de profondeur par 30 mètres de largeur et ces 2 700 places, comment comprendre que la salle n’occupe au final que 4% de la surface construite ? Dès la présentation des maquettes du projet de l’Opéra Bastille, la presse insiste sur l’incongruité de l’opération. Ainsi Gérard Mannoni dans Le Quotidien de Paris titre, le 3-4 décembre 1982, « La Bastille : un opéra sur quatorze plateaux ». Les pouvoirs publics assument ce qui peut alors apparaître comme une forme de démesure, en dépit des difficultés techniques, financières et politiques suscitées par le projet. Interviewé le 14 décembre 1984 par Le Nouvel Observateur, François Mitterrand concède avoir, un temps, hésité à aller au bout de l’aventure. Il se dit convaincu par François Bloch-Laîné et Pierre Boulez de l’intérêt du projet :

"Cet Opéra se comprend mieux quand on l’insère dans les plans du nouvel avènement de la musique en France voulu par Jack Lang. […] La musique revient à l’ordre du jour des passions françaises et la Bastille trouvera naturellement sa place et son public."

La salle et le plateau, vus des coulisses, côté jardin © Florian Kleinefenn / OnP
La salle et le plateau, vus des coulisses, côté jardin © Florian Kleinefenn / OnP

Un homme allait jouer un rôle décisif, aux côtés de l’architecte, dans l’invention de cet outil moderne : Michaël Dittmann. Il avait travaillé dans de nombreux opéras d’Europe comme assistant puis comme metteur en scène. De 1973 à 1979, il était aux côtés de Rolf Liebermann quand celui-ci était l’administrateur général du Palais Garnier. Et c’est à partir d’août 1981 que Michaël Dittmann s’est penché, avec Jean-Pierre Angrémy sur le projet du nouvel Opéra : les deux compères ont multiplié les voyages d’étude en Europe afin d’y visiter les théâtres et leurs infrastructures et ce, avant même que le projet de l’Opéra Bastille ne soit officiellement validé par les pouvoirs publics. Nommé directeur des équipements scénographiques de l’établissement public préfigurant l’Opéra Bastille, Michaël Dittmann en a conçu, avec Carlos Ott, la technologie scénique.

                       

Ensemble, l’architecte et le directeur des équipements scéniques ont imaginé un dispositif sans équivalent dans le monde, intégrant au sein d’un seul et même lieu l’ensemble des ateliers nécessaires à la genèse, à la fabrication et à la représentation d’un spectacle. Quand des controverses financières ont vu le jour en 1986 et que les atermoiements se sont multipliés au sujet de la réalisation ou non des ateliers de décors, ils ont su faire face. Y renoncer, c’était empêcher qu’une seule et même équipe de machinerie prenne en charge le suivi d’un spectacle, de la construction des décors au montage, en passant par le jeu et la mise en conteneurs. Et toute la force du projet de Carlos Ott résidait justement dans cette proximité entre les ateliers et la scène ainsi que dans la participation, en un même lieu, de tous les métiers du spectacle à la réalisation d’un projet artistique commun. Si Carlos Ott et Michaël Dittmann ont dû dans un premier temps renoncer à l’option d’une salle modulable de 600 à 1300 places, disposant de configurations acoustiques multiples afin de créer des œuvres nouvelles, ils ont tout de même imposé une vision nouvelle : le système Bastille.

Evolution du fonctionnement des Opéras du Palais Garnier à l’Opéra Bastille
Evolution du fonctionnement des Opéras du Palais Garnier à l’Opéra Bastille

Le système Bastille reposait sur trois grands principes : des infrastructures scéniques modulaires, une approche « industrielle » de la fabrique du spectacle et l’intégration des contingences artistiques et techniques en un seul et même lieu.

Ce sont des chariots porte-décors qui ont constitué la principale innovation parce qu’ils ont permis de dupliquer la scène, à la manière d’un jeu de taquin. Pour se représenter le dispositif mis au point à la demande de Carlos Ott et de Michaël Dittmann, il faut imaginer un ascenseur de 500 tonnes, épais de 6 mètres et pouvant supporter 300 tonnes de décor : en 4 minutes, celui-ci gravit 7 étages, soit un peu plus de 25 mètres. Et ces chariots de décors se déploient en plusieurs endroits : dans les dessous, à 25 mètres de la scène principale, côté cour et côté jardin où deux scènes latérales coexistent ainsi qu’à l’arrière-scène, et à l’arrière arrière-scène ! En somme, on dispose d’un espace continu de manutention avec des chariots autotractés afin de déplacer les décors sans même avoir besoin de les démonter. De surcroît, les concepteurs ont imaginé un cadre de scène mobile, pouvant s’adapter à des productions pensées pour des théâtres de différentes tailles. Quant à la fosse d’orchestre, elle est conçue pour être déclinée dans sept configurations différentes, allant d’un ensemble de type Mozart aux grands effectifs wagnériens. Avec ses 175 m2, elle se prête par exemple aux formations orchestrales de grande ampleur, telles que celles requises dans le Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen. 

Les espaces de stockage et zones de dégagement © Florian Kleinefenn / OnP
Les espaces de stockage et zones de dégagement © Florian Kleinefenn / OnP

En proposant à un ingénieur des Arts et métiers, Loïc Durand, de superviser la mise en place d’un bureau d’études, l’institution est entrée dans une nouvelle ère. Une cellule d’ingénierie s’est développée, afin d’adapter la construction des décors aux équipements scéniques des deux scènes principales (Bastille, Garnier) et de tous les espaces de représentation (Amphithéâtre, Studio, École de danse, et lieux hors-les-murs). Enfin, la proximité entre les ateliers et la scène a représenté un atout exceptionnel : serrurerie ; menuiserie ; sculpture, résine et matériaux composites ; montage ; peinture des toiles, des décors et de la tapisserie ; accessoires ; outillage et quincaillerie ; costumes ; perruques ; maquillage… Tout est fabriqué in situ, ce qui favorise une gestion rationnelle des ressources et offre une grande flexibilité dans la fabrique du spectacle. Certains détracteurs employèrent des formules peu flatteuses au sujet de ce nouvel outil : « Renault de l’Opéra », « une chaîne de montage de l’art lyrique ». Mais le personnel a rapidement su tirer parti de l’incroyable potentiel offert par l’invention de Carlos Ott et de Michaël Dittmann :

"L’apport le plus positif de Bastille n’a donc pas été produit par la démultiplication des automates, ordinateurs et systèmes experts, mais par l’immensité de ces lieux scéniques, utilisables quotidiennement pour des répétitions dans le décor, le pré-équipement des décors, des lumières, le réglage de quelque mécanique récalcitrante, les modifications d’éléments de décors, etc."

Les espaces scéniques © Florian Kleinefenn / OnP
Les espaces scéniques © Florian Kleinefenn / OnP

Naturellement, la maîtrise des coûts de production des spectacles avait présidé à ces principes d’organisation. Il s’agissait aussi d’augmenter la productivité des théâtres en favorisant l’alternance, grâce au maintien de l’exploitation du Palais Garnier. Toutefois, un compromis devait être trouvé entre la logique de fonctionnement des théâtres de répertoire à l’allemande, c’est-à-dire sans répétition des spectacles repris, et le principe de la Stagione ou du « festival permanent » dans lequel on immobilisait le plateau plusieurs semaines durant. Pour trouver l’équilibre et maintenir une exigence de qualité, des espaces de répétition intégrés dans le théâtre, au plus près des équipes techniques et de l’administration, représentaient un avantage extraordinaire. Dix salles de répétition, dont deux dédiées exclusivement au Ballet permettaient de réunir tous les intervenants dans un même lieu, les artistes des Chœurs disposant d’un studio de 400 m2 et les musiciens de l’Orchestre bénéficiant de 800 m2 de studios, ainsi que de trois salles de répétition… 

Dix ans après l’inauguration, Hugues Gall a dressé un premier bilan de cette aventure. Deux problèmes restaient à résoudre face à ce « gigantisme » :

  • Celui de la réaction des personnels
  • Celui de la qualité à atteindre

Les deux réponses ont dépassé tous les espoirs. Les personnels ont accepté les contraintes inhérentes à deux sites, ont fait les efforts d’adaptation nécessaires, en bref, les personnels, de la scène aux ateliers, tous les ouvriers de l’art confondus, ont rendu possible ce qui a suivi. Et ce qui a suivi est le constat d’une qualité et d’un succès retrouvés.

                       

L’Opéra Bastille a bel et bien constitué une révolution dans le monde de l’art lyrique : ce nouvel édifice, grâce aux efforts conjoints des architectes, urbanistes, programmateurs, artistes, techniciens et cadres avait en effet bouleversé les principes établis du théâtre à l’italienne. Par son plan et sa fonctionnalité, l’Opéra Bastille transformait les procédés de fabrication des spectacles pour revenir à l’essentiel : fédérer une communauté d’ouvriers de l’art au service du spectacle. Dix ans après l’inauguration, le pari était remporté : les deux salles, respectivement de 2 703 et 1 991 places accueillaient 850 000 spectateurs par an, dont 530 000 à l’Opéra Bastille.

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