"Il n’y a pas d’autre mur et barrière pour l’homme que le Ciel !"
Stéphane Lissner

En septembre dernier, l’opéra national de Paris a donné au public parisien d’entrer dans la saison 2015/2016 avec Moses und Aron, qui portait sur scène un questionnement fondamental sur le sens des images, sur l’efficience des mots et la difficulté à transmettre l’idée. Devant cette dialectique, nous avions tous en mémoire les événements de janvier 2015, sans savoir que les rues de Paris seraient tragiquement réinvesties par la terreur quelques jours seulement après la dernière représentation.

Cette production, tellement exigeante, a noué une cohésion remarquable entre les artistes et les équipes du théâtre. Je ne l’oublierai pas et je considère même ces soirées comme fondatrices pour les saisons prochaines. A une époque où l’on essaie de tout simplifier, de tout codifier, nous avons eu la preuve, tant par la réaction du public que par celle des artistes et des équipes de l’opéra de Paris, de la richesse des questionnements que l’on ne peut amputer ni réduire. Notre monde est complexe et si nous devons, bien sûr, offrir au public de pouvoir se divertir – nous gardons tous en mémoire les sommets du beau chant de cette saison –, nous avons le devoir urgent de lui offrir des sources de réflexion.

La saison 2015/2016 aura été, pour mon équipe et moi, synonyme de rencontre avec le public de l’opéra de Paris. La relation d’un public et d’un théâtre est une chose très particulière, mystérieuse, souvent irrationnelle, différente d’une ville à l’autre, faite d’enthousiasmes, de passions, parfois aussi de déceptions réciproques – pourquoi le cacher ? je garde en mémoire quelques moments très forts, le temps suspendu avant les applaudissements, les milliers de jeunes qui ont assisté aux avant‑premières, l’ouverture de l’académie et celle de la 3e scène. Je me souviendrai du Va pensiero, chanté par notre Chœur en janvier, de la minute de silence observée en novembre avec toutes nos équipes en communion avec le public, avant une Marseillaise bouleversante.

“Non, l’opéra n’est pas toujours plein et, sur le million de billets à vendre chaque saison, quelques dizaines de milliers restent disponibles jusqu’au lever de rideau.”

L’ouverture de nos théâtres est un objectif que toutes les équipes poursuivent inlassablement, avec une conviction chevillée au corps. Cela passe d’abord par le combat contre certains préjugés. Non, l’opéra n’est pas toujours plein et, sur le million de billets à vendre chaque saison, quelques dizaines de milliers restent disponibles jusqu’au lever de rideau. Non, l’art lyrique et le ballet ne sont pas réservés à une élite. Pour apprécier le spectacle, pour ressentir une émotion, il n’est nul besoin de tout comprendre, de lire la musique, d’être un expert de l’entrechat. Et s’il est évident que certains tarifs sont très élevés, qui sait que plus de 50 000 places sont pour cette saison proposées à 50 euros et 400 000 à moins de 75 euros ?
Favoriser l’ouverture de nos théâtres, c’est penser aux familles – pour la première fois, nous leur proposons un abonnement dédié – ; c’est penser aux jeunes, toujours plus ; c’est penser aux publics qu’un handicap éloigne habituellement des salles de spectacle ; c’est penser aux spectateurs qui apprécient les représentations en matinée ou les week‑ends spéciaux. C’est aussi proposer des spectacles gratuits, en France avec opéra d’été, à Paris avec la diffusion, sur notre écran place de la Bastille, de représentations et de concerts exceptionnels.

Le répertoire le plus large a bien entendu sa place dans notre maison, qui doit ouvrir ses portes à toutes les sensibilités. Les nouvelles productions, toujours aussi nombreuses, ont été confiées à des chefs d’orchestre et à des metteurs en scène dont plusieurs feront leurs débuts à l’opéra de Paris, et dont certains font également partie de la très jeune génération de créateurs. Il en est de même pour les chanteurs.

Le cycle Berlioz se poursuivra et s’élargira même à Bizet, Gounod, Saint‑Saëns et Offenbach avant, en 2018, Meyerbeer, le plus européen des compositeurs du XIX siècle. Selon la même philosophie, des créations mondiales seront données ces prochaines saisons, à partir de monuments de notre littérature : Trompe‑la‑mort nous plonge pour commencer au cœur de La Comédie humaine de Balzac. Viendront ensuite Bérénice de racine et le Soulier de satin de Claudel. Ces œuvres ont en commun une complexité profonde des sentiments comme des actions. L’ambivalence de l’homme y est irréductible et la conclusion jamais ne pourra se permettre le moindre manichéisme.

“Notre ambition est notamment de créer des alliages inattendus entre les forces artistiques de la maison, notre orchestre, nos chœurs et nos danseurs.”

J’insistais, l’an dernier, sur la nécessité de trouver un équilibre entre les styles, les répertoires, les approches. La programmation du Ballet répondra à cette exigence davantage encore que la saison passée avec les grands classiques attendus du public mais aussi de nombreuses créations contemporaines, déjà classiques ou plus originales. Le dialogue avec le travail des plasticiens, signature des propositions de Benjamin Millepied, est particulièrement remarquable et le Ballet dansera au sein d’espaces conçus par Marcel Duchamp, Olafur Eliasson ou encore Philippe Parreno. La richesse de ces jeux d’échos et des nombreuses soirées composées n’empêchera pas des thématisations particulièrement fécondes, comme pour la Soirée Ravel. Celle‑ci témoigne, comme les soirées mixtes, de la qualité des programmes que Benjamin Millepied conçoit par la musique et par le dialogue avec les grands artistes contemporains.

Comme l’an dernier, notre ambition est notamment de créer des alliages inattendus entre les forces artistiques de la maison, notre orchestre, nos chœurs et nos danseurs. Ainsi, Così fan tutte sera mis en scène par Anne Teresa de Keersmaeker pour sa première collaboration avec l’opéra de Paris dans le répertoire lyrique, avec en alternance les danseurs de sa compagnie et ceux de notre théâtre, sous la direction de Philippe Jordan.

Les artistes que nous avons réunis avec les équipes de l’opéra sont des citoyens engagés dans leur mission, conscients de leurs devoirs envers le public. A l’aube de la saison 2016/2017, convaincu que l’opéra a pour rôle essentiel d’abolir les frontières d’un monde qu’il doit contribuer à construire, je garde en mémoire ces mots écrits par Claudel dans le Soulier de satin

“Il n’y a pas d’autre mur et barrière pour l’homme que le Ciel ! Tout ce qui est de la terre en terre lui appartient pour marcher dessus et il est inadmissible qu’il en soit d’aucune parcelle forclos.”

Le cycle, l’engagement

Philippe Jordan

Innover sans se renier

Aurélie Dupont

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