Ancien assistant de Patrice Chéreau, il revient à Peter McClintock de faire revivre De la maison des morts dans cette production mythique de l’opéra de Janáček, après la disparition de son metteur en scène. Nous l’avons rencontré avant le début des répétitions à l’Opéra Bastille.
Parlez-nous de votre rencontre avec Patrice Chéreau.
On sait à quel point Patrice Chéreau se consacrait à l’opéra avec parcimonie, à quel point il choisissait minutieusement les ouvrages du répertoire qu’il mettait en scène. Qu’est-ce qui l’a décidé à dire « oui » à De la maison des morts ?
Il m'a lui-même expliqué que, lorsque Stéphane Lissner lui a proposé l’ouvrage, la participation de Pierre Boulez au projet avait été déterminante. Patrice et Pierre avaient une fabuleuse relation de travail. Patrice partageait sa connaissance de l'analyse du texte avec Pierre et Pierre partageait son incroyable analyse de la musique avec Patrice.
Patrice Chéreau avait un rapport intime à Dostoïevski. Peu de temps avant De la Maison des morts, il a lu Carnets du sous-sol sur la scène des Bouffes du Nord. Dostoïevski était-il présent dans votre réflexion ?
Patrice avait toujours un exemplaire du roman avec lui. Il le lisait et le relisait pour essayer de creuser cette matière originelle. Ce que je trouvais extraordinaire en travaillant avec lui, c'était son dévouement absolu au texte. Inlassablement, il y cherchait des indices, des réponses. Quand il butait sur un problème de mise en scène, quand il ne savait pas comment aborder une scène, son réflexe était toujours de se tourner vers le texte. Tout le livret de l’opéra était une réduction de l’œuvre originelle, sauf trois ou quatre phrases. Patrice revenait sans cesse à Dostoïevski pour comprendre les choix qu’avait fait le compositeur. Il parlait lui-même du livret de Janáček comme d'un collage des différents épisodes du roman que Janáček avait mis dans un autre ordre. Il sentait qu'il devait particulièrement travailler sur la construction des transitions, non seulement d'une scène à une autre, mais d'un acte à l'autre. Il a tout particulièrement travaillé l’histoire de Goriantchikov et Alieia, dont il souhaitait qu’elle soit complètement explorée. C'était son génie.
L’une des particularités de la mise en scène est la présence de seize comédiens sur le plateau qui font vivre l’espace de la prison…
Il était très important pour Patrice que ce groupe de seize acteurs ne se distingue pas des chanteurs. Il voulait que le public ne puisse pas les différencier visuellement. Les solistes, les chœurs, les acteurs et les figurants - tous devaient faire partie de la même population carcérale. Il travaillait les scènes avec un grand souci du détail. Il discutait énormément avec les chanteurs afin de rendre leur jeu le plus « vrai » possible.
Comment le spectacle a-t-il évolué au fil des reprises ?
La mise en scène a évolué en fonction des chanteurs. Patrice avait à cœur d'utiliser leur personnalité pour construire les rôles. Il voulait toujours améliorer le spectacle, en particulier le début de l'acte III, le tableau dans lequel Goriantchikov veille Alieïa, censé se passer à l’infirmerie. Lors de la création viennoise, ce passage était différent de ce qu'il est devenu par la suite. Lorsque nous avons commencé les répétitions au Metropolitan Opera en 2009, deux ans après la Première, il a beaucoup cherché pour préciser cet espace.
Comment appréhende-t-on une reprise après la disparition de son metteur en scène ?
Quand
De la maison des morts a été rejoué à Berlin, il y a trois ans, c'était
la première fois depuis la disparition de Patrice que nous reprenions la
production. Nous avions l'impression qu'il était là, quelque part. À chaque
fois que nous évoquions l’une de ses idées, son travail titanesque, ses
analyses profondes, nous sentions sa présence. D’ailleurs, la plupart des
artistes présents sur cette reprise ont travaillé avec Patrice : 16 parmi
les 19 chanteurs et la totalité des comédiens. C'est une sensation incroyable,
merveilleuse que de contribuer à garder son esprit vivant.