Marie : Connaissiez-vous l’histoire de Iolanta lorsque vous étiez enfant ?
Sonya Yoncheva (S.Y.): Pas du tout. Je n’avais jamais entendu cette histoire de ma vie. Je l’ai complètement découverte avec l’opéra et j’ai été absolument fascinée. J’ai vite compris que ce n’était pas un conte de fées, une utopie, mais qu’il y avait beaucoup de profondeur à explorer, de sentiments, de pudeur, de non-dits, d’interdits, de problèmes de société… J’ai été absolument prise par cette histoire.
André : On dit que Iolanta est le seul opéra de Tchaïkovski qui finit bien, que tout tend vers le positif. Êtes-vous d’accord ?
S.Y.: Oui, je suis d’accord. Parce que la vie de Iolanta est tellement sombre, l’opéra commence avec tant de doutes chez cette jeune fille, avec un père qui la séquestre dans cette maison, qui ne veut pas la montrer au monde… Au départ, elle souffre tant, ses sentiments se développent et sa vie passe sans qu’elle ne connaisse rien du monde et je trouve ça si tragique que cela mérite d’être canalisé dans un happy-end !
Timothée : Le metteur en scène Dmitri Tcherniakov a annoncé que Iolanta et Casse-Noisette seraient les deux parties d’un même spectacle. Les chanteurs et les danseurs sont-ils réunis sur scène ?
S.Y.: Oui, complètement. Dans une partie du spectacle, nous sommes tous sur scène. Je ne veux pas en dire plus, il faut vraiment voir le spectacle parce que c’est tellement bien fait, si bien calculé. Je trouve que cette transition de Iolanta à Casse-Noisette est un coup de génie.
Hélène : Chère Sonya, que pensez-vous de la mise en scène de Dmitri Tcherniakov ? Vous plaît-elle ? Vous sentez-vous en phase avec son interprétation de Iolanta ?
Sarah : Comment se sont passées les répétitions ? Comment décririez-vous la direction d’acteurs de Dmitri Tcherniakov ?
S.Y.: Extrêmement intense. Je sortais de chaque répétition comme on dit en bulgare « comme un citron pressé » ! Vraiment sans énergie et en même temps chargée de tant d’émotions, je rentrais à la maison avec plein de pensées, je n’arrivais pas à dormir. Lors de certaines répétitions, parfois nous pleurions tous, c’était comme une thérapie. Ses séances de travail sont extrêmement intéressantes. Je souhaite aux jeunes gens voulant commencer ce métier, de metteur en scène ou d’interprète, d’assister à une répétition avec Tcherniakov.
James : Dans Iolanta, l’héroïne est aveugle, et elle l’ignore parce que son père le Roi René lui a caché. Avez-vous ressenti une difficulté particulière à jouer une aveugle ?
S.Y.: Oui au tout début c’était très difficile parce que ce n’est pas seulement le fait qu’elle ne voie rien. Évidemment il fallait trouver cette espèce d’angle des yeux qui se perdent quelque part, qui ne brillent pas ou qui sont éteints mais ce qui était encore plus difficile c’était de trouver le langage corporel de quelqu’un qui est aveugle. J’ai un peu observé des personnes atteintes de cécité. Ils sont souvent assistés, aidés, ou ils connaissent les lieux qu’ils fréquentent, mais en même temps leur corps n’est pas tout à fait comme les autres, il est en alerte permanente, comme du feu sous la glace. J’ai passé un peu de temps à trouver ça, je me persuade aujourd’hui que j’ai trouvé la solution, ma solution en tout cas. Mais la difficulté était également pour mes partenaires, et même davantage que pour moi une fois que moi j’avais trouvé mon langage corporel juste. Avec mon regard, l’aspect surprenant des expressions de quelqu’un d’aveugle sur mon visage, mes collègues ont été assez déconcertés. C’était un peu dur pour eux parce qu’ils devaient jouer avec quelqu’un d’incroyablement vivant à l’intérieur mais en même temps éteint, avec qui peu d’interaction est possible. Avec Iolanta on reste seul. Et Iolanta demeure seule même accompagnée dans un certain sens. C’est là tout le tragique de sa cécité, c’est qu’elle est accompagnée par la solitude et l’ignorance. Notre but était de montrer cette solitude qui se brise à travers le choc de l’amour et de la lumière. Tout cela est si délicat que ça nous a poussés à travailler à rebours du jeu opératique traditionnel. Je dirais que c’était presque cinématographique. Tout devait être extrêmement précis et dans le ressenti intérieur. La manière de faire même de Dmitri était celle d’un cinéaste.
Tristan : Comment approchez-vous cette œuvre majeure de Tchaïkovski, alors que vos principaux engagements en ce moment sont Violetta dans La Traviata ou Mimi dans La Bohème ? Ces rôles ont-ils un lien entre eux pour vous ?
S.Y.: Oui et non, pour moi le seul point commun c’est que ce sont des femmes qui vivent à travers moi et mon corps. On peut dire que j’ai plusieurs filles qui vivent en moi. J’essaie à chaque fois que je les interprète d’être moi-même. C’est comme ça que je peux leur apporter de la fraicheur, dépoussiérer un peu le personnage. Je ne suis pas du tout fan des interprétations opératiques traditionnelles, c’est pour ça d’ailleurs, qu’avec Dmitri, que sur cette création, on a trouvé autant de points communs dans nos opinions.
Clément : Au cours de votre carrière quel est le rôle qui vous a le plus touché ?
Propos recueillis par Milena Mc Closkey