Pour clôturer la saison de l’Académie, Paul Balagué, metteur en scène en résidence, a eu carte blanche et propose un workshop autour de la musique américaine du XXe siècle. Après un an d’immersion au sein de l’Opéra national de Paris, c’est le moment de mettre en pratique les observations et leçons tirées de cet enseignement. Et d’explorer, avec l’ensemble des chanteurs de l’Académie, les situations difficiles que peuvent engendrer la perte et les frontières poreuses entre rêve et réalité. Rencontre.
Quel a été le point de départ de la composition de ce workshop ?
Le workshop de mise en scène
est le point d’aboutissement pour le metteur en scène en résidence à l’Académie.
Il se construit tout au long de l’année. Au début de la saison, j’ai vécu un
deuil dans ma famille qui m’a confronté à des sensations et des couleurs que je
n’avais jamais expérimentées auparavant. Je me retrouvais face à des émotions
très contrastées presque contradictoires. Je basculais très rapidement de la tristesse
à la joie : une envie de pleurer mais aussi de rire. Même s’il n’est pas
question ici d’autobiographie ni de thérapie, je retrouve ces émotions dans
certaines des scènes. Paradoxalement, la scène, l’endroit où nous sommes le
plus exposés, permet d’incarner les sentiments les plus intimes. Cet état de
remise en question, de manque, de vague à l’âme, c’est dans la musique que je
le ressentais le plus. Mon travail peut se résumer à un mot : la saudade. Un mot portugais très difficile
à traduire et qui désigne une délicieuse nostalgie, une tension entre un manque
et son désir. C’est sans doute l’émotion la plus riche que l’on puisse
ressentir. Une manière d’être présent dans le passé ou d’être passé dans le
présent.
Ton workshop s’articule autour de la musique américaine de la deuxième moitié du XXe siècle. Pourquoi ?
L’Académie n’impose aucune règle
ou consigne particulière. Seulement, j’ai tenu à construire une unité au
spectacle. Je suis parti de trois morceaux : l’opéra Trouble in Tahiti de Bernstein que j’ai découvert au début de
l’année dernière, la chanson : I’m Coming
Home de Clifton Chenier qui m’accompagne depuis longtemps et Mad Rush de Philip Glass que j’ai
beaucoup écouté alors que j’étais en pleine réflexion sur ce projet. Trois œuvres
qui décrivent l’éclectisme et la richesse de la musique américaine. J’ai
ensuite voulu continuer à explorer cet univers musical. Avec une petite
exception assumée pour le morceau de Queen, Somebody
to Love, dont j’adore la folie baroque et qui n’est pas loin de l’opéra. De
plus, la langue anglaise permet de convoquer des images poétiques d’apparence
simple mais d’une très grande profondeur avec une économie de mots qui me plaît
beaucoup. Comme une cuisine maniant peu d’ingrédients mais soigneusement
choisis.
Le projet rassemble des extraits d’opéra et des morceaux de musique populaire américaine. Comment as-tu articulé les deux ?
Il y a quinze extraits en tout : six extraits d’opéra, un extrait d’une chanson pour enfants de Bernstein, deux extraits de comédie musicale, cinq extraits de chansons populaires et un morceau pour piano.
L’accès au téléchargement a profondément changé la manière d’appréhender la musique et les associations entre les genres. Dans ma playlist, Ich bin der Welt abhanden gekommen, un Lied de Mahler, s’enchaîne avec I FINK U FREEKY de Die Antwoord.
Mélanger les genres est presque devenu une évidence
pour notre génération. J’ai voulu rendre compte de ce champ culturel- là. Par
contre, si l’on mélange trop, il n’y a plus de couleurs. Et tout l’équilibre
repose sur le choix des univers et tons dans lesquels on gravite. La seule
contrainte c’est la cohérence-étrange, la dissonance-agréable de l’assemblage.
Quel fil narratif as-tu construit entre les extraits ?
Le spectacle raconte l’histoire
d’un jeune homme qui rentre dans sa ville natale pour signer la vente de la
maison de ses parents. En rangeant ses cartons, il fait ses adieux à une vie
qui est maintenant derrière lui. La perte récente de sa mère l’a laissé à fleur
de peau et lorsqu’il va poser un pied dans la maison où il a grandi, des
souvenirs vont lui revenir par bouffées : ses parents, leurs disputes et leur
amour. Il va aussi revoir ses amis d’enfance, et se confronter à ses envies
d’avant, ses fuites d’aujourd’hui. Il va plonger dans cet état étrange de
rêverie qui mélange les temps et les sensations. Petit à petit, il redescend
dans la vallée des vivants.
Plusieurs chanteurs de l’Académie interprètent le même personnage ? Pourquoi ?
Lorsque vous regardez des
photos qui datent d’il y a dix, vingt, trente ans d’un membre de votre famille,
vous découvrez quelqu’un qui ne ressemble pas du tout à la personne que vous
connaissez, dans une tenue inconnue, dans un endroit inconnu, entourée de gens
inconnus. C’est une autre personne, une autre vie, souvent une vie où vous
n’étiez pas né. Chaque personne cache des dizaines de vies, d’histoires tout au
long de son temps sur terre. Et chaque changement de vêtement ou de coiffure est
juste la manifestation extérieure de ce bouillonnement. La scène explore cette
diversité de l’identité d’une même personne à travers différents corps et
différentes voix.
Ton projet contient plusieurs parties parlées ? Comment les as-travaillées avec les chanteurs ?
Je voulais expérimenter le jeu
avec les chanteurs mais sans la sécurité de la voix lyrique qui peut être un
masque protecteur. J’avais envie de les confronter à un autre type de musique,
celle des phrases simples, des petits moments. Nous avons travaillé sur la
manière d’assumer chaque mot, de le comprendre et de le sentir résonner.
Tu as passé un an en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris aux côtés de jeunes chanteurs et artisans d’art ? Quelles sont les expériences qui t’ont le plus marqué ?
L’Académie propose un programme
varié qui permet de multiplier les expériences. J’ai réalisé deux assistanats à la mise en scène dans des productions de l’Académie
: Reigen,opéra
de Philippe Boesmans mis en scène par Christiane Lutz et Kurt Weill Story, workshopmis en scène par Mirabelle
Ordinaire. Ce métier est primordial pour apprendre la mise en scène d’opéra
car il permet d’être en contact avec l’ensemble d’une équipe et de découvrir à
quel point les tâches sont compartimentées à l’opéra. C’est aussi recevoir les
paroles, les fatigues et les angoisses de chacun. L’assistant aide à porter
l’équipe. J’ai aussi eu la chance d’être en régie de scène sur Only the Sound Remains, un opéra de
Kaija Saariaho, mis en scène par Peter Sellars. Grâce à la régie de scène, on
plonge au cœur du processus de création, d'organisation et on apprend à tout anticiper.
Travailler avec Peter Sellars, c’est expérimenter l’absolu professionnalisme
dans la joie la plus profonde. J’ai également pu travailler à des mises en
espace de récitals dans divers lieux : au Palais Garnier ainsi qu’au Musée
Beaubourg. À chaque fois, j’ai éprouvé un réel plaisir à mettre le corps du chanteur
au service de son air, à anticiper son placement et à construire une histoire.
Le monde lyrique est très exigeant et double : épatant de rigueur mais
finalement très poétique.
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